“Il n’est pas acceptable d’établir un acte de vente pour 90€ !”
Le 112e Congrès des notaires se déroule à Nantes jusqu’au 8 juin sur le thème du droit de propriété. En amont de ce grand rendez-vous annuel de la profession, Me Pierre-Luc Vogel, président du Conseil supérieur du notariat, revient sur l’actualité : impact de la Loi Macron certes mais aussi évolutions technologiques en cours.
Pouvez-vous tout d’abord dresser un rapide état des lieux de la profession aujourd’hui ? Au 31 décembre 2015, nous étions très exactement 9 802 notaires en France (+18,1 % par rapport à 2005) dont 7 065 exerçant en sociétés dans 4 570 offices (+1,4 % en dix ans). Cette progression des effectifs s’explique par un accueil plus important de jeunes, – une volonté de la profession –, et par le développement de points d’accueil clients (5 960 aujourd’hui). Nous employons aussi près de 50 000 collaborateurs, un nombre également
en croissance. L’âge moyen est par ailleurs de 48 ans et le nombre de femmes de plus en plus élevée (3 506 aujourd’hui). Nous devrions atteindre la parité dans les prochaines années. Vous avez choisi le droit de propriété comme thème principal de votre prochain congrès. Pourquoi ? L’immobilier est au cœur de notre activité et des préoccupations de nos clients. Il a fait l’objet, ces derniers temps, de nouveaux et nombreux textes de loi. Une mise au point est essentielle. A l’issue de notre congrès, nous formulerons également un certain nombre de propositions. Ce qui me parait essentiel, c’est de mieux conjuguer simplification et sécurité, de trouver un bon équilibre entre les deux et de toiletter les textes en ce sens.
La Loi Macron a déjà fait couler beaucoup d’encre au sein de votre profession. Où en est-on aujourd’hui ? La Loi Macron porte sur trois volets : le tarif, la liberté d’installation et l’interprofessionnalité. Seul le premier est entré en vigueur le 1er mai 2016. Pour rappel, il prévoit une baisse homogène des tarifs de 1,4% sur l’ensemble de nos actes et une baisse ciblée de 1,1% sur les actes inférieurs à 9 000€. Dans ce dernier cas, qui touche surtout les offices en secteur rural, le montant de notre émolument ne peut excéder 10% du prix, avec un minimum de 90€. Sachant que ces actes de vente avec des prix inférieurs à 9 000€ nécessitent une vingtaine d’heures de travail en moyenne, ils sont rédigés à perte (même si c’est moins spectaculaire sur la fourchette entre 5 000€ et 9 000€). L’ambiance s’est tendue au sein de votre profession. Le Conseil supérieur du notariat a même fait l’objet d’une motion de défiance de notaires du centre-ouest de la France qui lui reprochent de n’avoir rien fait pour protéger les communes rurales. Quelle réponse leur apportez-vous ?
J’ai assisté le 27 mai dernier à l’assemblée générale du Conseil régional des notaires de la Cour d’appel de Poitiers, justement pour rencontrer ces confrères. Nous avons échangé de manière très directe pendant deux heures et la confiance a été rétablie. Nous avons décidé, en avril, la mise en place, au niveau du Conseil, d’un fonds de compensation. L’idée est de verser une indemnisation aux notaires touchés par une baisse supérieure à 1,1%. Ce fonds sera notamment abondé par les offices impactés en deçà de ce pourcentage. Mais ce système est provisoire. C’est une disposition dans l’attente de la révision de la mesure relative à notre émolument pour les actes inférieurs à 9 000€. Il n’est pas acceptable d’établir un acte de vente pour 90€ ! Que souhaiteriez-vous ? Revenir à une baisse de 2,5% sur l’ensemble de nos actes. Plus juste. Toutes les études seraient impactées de la même façon. Ou alors remonter le minimum de 90€ pour arriver à une rémunération décente.
Quid de la liberté d’installation ? Nous attendons actuellement la carte qui doit définir les secteurs où l’installation sera libre en France et ceux où elle sera contrôlée. Nous devrions en disposer au début de l’été. Je n’en sais pas plus pour l’instant, mais nous devons absolument maintenir le maillage territorial et l’équilibre économique des offices existants. Dans un univers en profondes mutations (exigences de simplification, transformations dans les manières de consommer, émergences de concurrence…), comment gardez une longueur d’avance ? Notre profession a toujours été en pointe sur le plan technologique. Il y a dix ans, nous avons lancé l’acte authentique électronique. Deux tiers des études le propose et nous avons archivé notre deux millionième acte fin 2015. Nous avons par ailleurs déployé, fin 2015, un nouvel intranet commun à tous les notaires. En octobre 2016, nous allons franchir une nouvelle et importante étape avec le lancement de Notaviz. Cette plateforme disposera d’un volet grand public où les Français pourront trouver les chiffres de l’immobilier, un module de calcul de frais des actes… et d’un volet clients avec un espace de stockage de dossiers personnels, sorte de coffre-fort numérique qui permettra d’archiver des informations confidentielles. Les clients pourront aussi avoir un accès direct à leur dossier en cours. Nous allons également mettre en place, à partir de juin, la visioconférence. Cette évolution très forte permettra de conclure en 2017 des actes à distance, en présence d’un notaire de chaque côté de l’écran. Une grande opération d’équipement est en cours dans nos instances et dans les offices. Nous avons aussi signé un partenariat avec BPI, Banque publique d’investissement, pour travailler avec des start’up sur le développement de nouvelles technologies.
Le rapprochement avec d’autres professionnels du droit et du chiffre pourrait-il être une piste à imaginer pour rester compétitif ? Nous avons, par nature, des professions et des statuts différents. Des obligations différentes aussi. Je crois beaucoup à l’interdisciplinarité. Sur le terrain d’ailleurs, la coopération dans le traitement des dossiers entre notaires, experts-comptables, avocats se déroule plutôt très bien. Mais, pour moi, l’avenir reste à la séparation des métiers pour des raisons d’indépendance, de secret professionnel, de conflit d’intérêt. Les pouvoirs publics n’ont-ils pas tendance à vouloir régir la profession par le prisme du notaire «des villes», si ce n’est du notaire parisien ? Au détriment du notaire “des champs” ? Le rôle du Conseil supérieur est justement de représenter le notariat sous toutes ses facettes. C’est une mission compliquée : les pouvoirs publics n’ont pas toujours conscience de cette diversité alors qu’il faut justement avoir à l’esprit que ce sont les offices les plus fragiles qui contribuent au maillage territorial indispensable pour un service public de proximité, ce qu’attendent les Français.