Dommages de travaux publics : comment les faire cesser ?
Le plus souvent, on entend par travaux publics des travaux immobiliers effectués pour le compte d’une administration dans un but d’intérêt général. Pour ne citer que ceux-là : la réalisation d’une route départementale, d’un stade municipal ou bien encore la réhabilitation d’un musée commandée par l’Etat. Sous peine de freiner toute amélioration de la vie de la cité, les riverains de ces travaux doivent s’accommoder des inconvénients qu’ils suscitent inévitablement. De même, une fois construits, les ouvrages publics que constituent la route, le stade et le musée précités sont, en eux-mêmes, incontestables. Dans deux cas, cependant, il n’en est pas ainsi.
Premier cas. L’ouvrage public qui jouxte l’immeuble d’un administré cause ou est sur le point de causer, de manière imminente, des dégradations à ce dernier. Ainsi, par exemple, des eaux de ruissellement en provenance d’une route départementale créant d’importants désordres dans une maison d’habitation. Pareilles dégradations peuvent aussi résulter d’un accident de travaux publics. Citons, par exemple, l’erreur de manœuvre d’un engin de chantier endommageant gravement un magasin. Dès lors, de deux choses l’une : soit, pour être réels, ces dommages actuels ou imminents ne constituent pas pour autant un danger caractérisé pour la vie des personnes. La victime pourra alors demander au juge administratif d’enjoindre l’administration, maître d’ouvrage, de réaliser des travaux confortatifs sur l’immeuble endommagé ou, plus généralement, de prendre toute mesure pour faire échec au péril issu des travaux susdits. Pour ce faire, le justiciable usera de la procédure dite du référé conservatoire prévue à l’article L.521-3 du Code de justice administrative. Son succès est conditionné par la démonstration suivante : les mesures sollicitées doivent répondre à une urgence, être utiles et présenter un caractère conservatoire et provisoire. L’urgence est satisfaite dès lors que la mesure est nécessaire à la protection des droits de l’intéressé. Il en sera ainsi en cas de risques d’effondrement de certaines parties d’une maison (CE, 18 juillet 2006, Elissondo Labat, n°283474). L’utilité semble correspondre à une absence d’alternative : une mesure est utile si la victime ne dispose pas d’une autre voie lui permettant d’obtenir autrement ce qu’elle souhaite. Or, les administrés ne disposant d’aucun pouvoir de coercition sur l’administration, ils n’ont d’autre choix pour conjurer la carence de l’autorité publique (née, en l’espèce, de son refus exprès ou implicite d’intervenir) que de saisir le juge. La condition d’utilité est donc aisément admise. Quant aux mesures sollicitées, seules celles permettant de «parer au plus pressé» seront accordées. Des travaux confortatifs tels qu’un étaiement des parties sinistrées aux frais de l’administration coupable pourront ainsi être ordonnés, le cas échéant, sous astreinte. La cessation définitive des travaux est en revanche exclue. Enfin, au vu d’un élément nouveau (par exemple, une nouvelle dégradation), le juge pourra modifier la mesure provisoire initialement requise en la renforçant par d’autres mesures plus sécuritaires.
Second cas. Des travaux publics ou l’état d’un ouvrage public causent un danger imminent et caractérisé pour la vie des personnes. Cette fois, la voie du référé-liberté (L.521-2 du Code de justice administrative) peut être empruntée. Ici, la victime devra démontrer que la carence de l’autorité publique à conjurer sans délai une telle menace porte atteinte à une liberté fondamentale. “Le droit au respect de la vie” étant considéré comme tel (CE, sect., 16 novembre 2011, n°353172, Ville de Paris et SemPariseine), le requérant devra encore apporter une double preuve. Celle, d’abord, de la carence manifestement illégale de l’administration à lever la menace pesant sur la vie des personnes. Puis, celle de l’extrême urgence (et non plus de la simple urgence comme en référé conservatoire) qui s’attache à la situation. Le juge peut, dès lors, procéder en deux étapes. Dans une première ordonnance, il incitera l’Administration à prendre des mesures de sauvegarde dans un délai de 48 heures (interruption du chantier pendant un délai de 72 heures à l’effet de procéder aux réparations urgentes, instauration d’un périmètre de protection, désignation d’un expert aux fins de proposer une nouvelle méthodologie de travaux…). Puis, dans une décision ultérieure prise à brève échéance, le juge sera fondé à déterminer des mesures complémentaires qui, le cas échéant, s’imposeraient. Face au péril que lui semble constituer, pour son habitation, les travaux publics réalisés sur un immeuble mitoyen, l’administré pourra éprouver quelque embarras au moment d’opter pour l’un des deux référés susvisés. Instinctivement, il inclinera sans doute vers le référé-liberté, jugé a priori plus adapté puisque le juge se prononce dans les 48 heures suivant sa saisine. Ce choix n’est pas le bon. Les conditions du référé-liberté sont, en effet, très strictement interprétées par le juge, lequel n’accède que rarement à la demande qui lui est adressée. De fait, pour optimiser ses chances, le requérant gagnera à introduire simultanément les deux référés devant le juge administratif.
Car, si l’urgence, qu’il importe toujours d’étayer avec le plus grand soin, n’est pas jugée pressante par le juge saisi du référé-liberté, du moins pourra-telle être suffisante à l’aune du référé-conservatoire…
Etienne COLSON,
avocat au barreau de LILLE
(contact@colson-avocat.fr)