Dominique et ses frères donnent un air de famille au maraîchage

A Comines, Dominique Bouillet poursuit avec des deux frères, Pascal et Didier, une culture traditionnelle et, sur les marchés ou par la Ruche qui dit oui, diffuse directement ses produits.

Journée portes ouvertes : Dominique présente sa technique personnelle sur son matériel traditionnel.
Journée portes ouvertes : Dominique présente sa technique personnelle sur son matériel traditionnel.
Journée portes ouvertes : Dominique présente sa technique personnelle sur son matériel traditionnel.

Journée portes ouvertes : Dominique présente sa technique personnelle sur son matériel traditionnel.

Place du Concert, vous reconnaîtrez facilement Dominique à son sourire, sa faconde, sa voix qui porte et son rire franc. Si vous êtes patoisants, vous pourrez lui demander des chicons ou prendre des nouvelles de ses “glennes” sans passer pour un arriéré. Car Dominique, dans ce haut-lieu de la nouvelle bourgeoisie des villes, est resté un paysan, un vrai. Certes, il n’est pas le seul, car le centre-ville a le privilège, en son marché le plus huppé, de voir aussi Louis ou Brigitte, deux autres cultivateurs de la proche banlieue.

Tous incarnent une caractéristique méconnue d’une des agglomérations les plus peuplées de France, ce que d’aucuns taxeraient de paradoxe : cette communauté urbaine millionnaire est aussi une des plus rurale : 24 000 ha de terres agricoles, soit 39% du territoire. Dans son GAEC familial de la Ferme des Magrés à Comines, sur près de 10 hectares, Dominique Bouillet illustre aussi une façon très particulière de travailler la terre.

Respect de la nature. Sans être bio et sans chercher à l’être, il est resté proche des méthodes les plus traditionnelles, évitant le recours à l’engrais ou aux pesticides pour laisser faire la nature. Il délaisse les machines lourdes au profit d’un matériel léger qui, à d’autres, paraîtrait désuet ou hors du temps. C’est qu’il n’est pas agriculteur comme il le dit lui-même. «Je suis un maraîcher, pas un agriculteur. Là où l’exploitant va chercher de gros rendements, je cherche la qualité, même si mes carottes ne sont pas toutes droites.» Ce qui est droit, ce sont ses idées sur l’agriculture, lui qui fut longtemps un membre actif de la Confédération paysanne au point de libérer un jour des cochons au siège du parti socialiste, rue Lydéric à Lille.  

Paysans, Dominique et ses frères le sont dans leur démarche culturale depuis qu’ils ont repris l’exploitation familiale. C’est en 1958 que les parents s’installent sur cette terre, à la frontière belge. Avec 6 vaches et 200 poules, l’heure est à l’élevage et la polyculture. En 1966, ils se reconvertissent dans le légume pour les grossistes. Arrive l’hiver 68-69 qui voit les poireaux geler dans la terre ; des poireaux qu’une fois arrachés dans le sol durci, personne ne vient chercher.

Ni une ni deux ! Pour s’en sortir les Bouillet prennent la charrette et le cheval et s’en vont vendre directement leurs poireaux sur le marché de Comines. «On était toujours au temps du cheval», se souvient Dominique, qui se souvient aussi d’avoir travaillé avec ce cheval de l’âge de 12 à celui de 14 ans. Arrive le premier tracteur en mai 1975.

Relève et transmission. En 1986, le premier fils, Pascal, entre dans l’exploitation qui devient un GAEC. En janvier 91, Didier et Dominique les rejoignent. Dominique avait reçu une formation «pour être à un bureau». Pendant six mois, il a travaillé dans une entreprise de meubles avant de devenir démonstrateur de matériel agricole. Le chômage le conduit à revenir à la ferme où ils sont alors cinq salariés du GAEC : les parents et les trois fils.

En 1993, sera pris un tournant décisif avec le changement de méthodes culturales. «Cette année-là, la pomme de terre était vitreuse là où on avait mis beaucoup d’azote. Dans un petit champ, nous n’avions mis que 80 unités parce qu’il n’en restait pas assez. Là, les pommes de terre avaient mûri plus vite et étaient impeccables. Alors on a réfléchi.»

A l’époque n’existe aucune étude sur ces autres façons de cultiver. Le changement de méthode va donc s’effectuer à l’instinct. Ils vont réduire d’année en année la production volontairement en abandonnant les intrants, jusqu’à ne plus utiliser de fongicides au début des années 2000. Entre deux, en 1998, est intervenu le remembrement. Le GAEC dispose désormais de 9,5 hectares, dont 1,5 sur Wambrechies. Cette réunion des terres va permettre une révolution : la plantation de haies. Avec les haies, arrivent les insectes et les oiseaux qui vont lutter naturellement contre les prédateurs des cultures. Rétablir l’équilibre naturel est le credo de Dominique Bouillet qui aligne au bord de ses champs prunelliers ou viornes, des arbustes mellifères ou encore des aubépines et des chênes. «Je fais une charnière entre écologie et agriculture. Il n’y avait aucun arbre, à présent il y a des haies partout.»

Echelle et philosophie. Quelle est la différence entre maraîchage et agriculture ? Dominique l’explique en une phrase : «Le maraîchage, c’est des petits parcs, de la qualité et beaucoup de diversité. L’agriculture, c’est des grandes parcelles et du rendement.  Les haies, parce que les bestioles restent dans les haies au lieu de se ruer sur les champs.» Combien de jardiniers pulvérisent leurs haies en y voyant des insectes, croyant que l’insecte va de la haie à la plate-bande alors que c’est l’inverse. «Avec les insecticides, on tue la chaîne écologique. L’araignée-crabe mange les œufs de la limace et le hérisson mange la limace. J’essaie de garder au maximum la chaîne écologique.»

Ainsi, ses 1 300 pieds de tomates croissent dans des serres ouvertes et aérées, avec un léger arrosage à l’eau du robinet. «Moins d’eau, c’est un choix, car chez nous on a le temps pour que les tomates se gorgent de goût. Et surtout zéro produit.» Sur l’exploitation, l’engrais aussi est naturel avec, tous les deux ans, un épandage de fumier de cheval et l’assolement avec trois hectares de blé, un hectare de pommes de terre et le reste en légumes. Le fumier, en provenance d’un centre équestre voisin, est épandu toutes les semaines. Il est paillé et peu azoté. Après épandage, la terre n’est pas tout de suite retournée afin que les UV et les insectes aérobies travaillent la matière. 

Bien sûr, cette pratique est une pratique de main-d’œuvre. «Chaque poireau passe cinq fois dans nos  mains et nous avons 30 à 40 000 poireaux ! Au lieu d’une aide à l’hectare, il faudrait une aide à l’actif.» Les poireaux, semés en mars, repiqués en juin, sont arrachés soit en juillet-août pour le poireau d’été, soit en hiver. Il faut semer, démarier, repiquer, arracher, laver.  Le désherbage est effectué par fraisage sans herbicide. En effet, le matériel utilisé est une autre caractéristique de la Ferme des Magrés.

D’aucuns pourraient trouver insolite l’outillage utilisé par Dominique et juger cela désuet et rétro. Que nenni, rétorquera l’intéressé qui montrera au contraire l’à-propos de ce choix. Là où d’autres, toujours dans un souci de rendement, écrasent leurs terres avec des engins de plus en plus lourds, obligeant au cercle sans fin du “toujours plus gros”, avec à la clef toujours plus d’adjuvants et d’intrants, Dominique se promène dans ses sillons avec un petit tracteur, assis sur une repiqueuse qui semble hors d’âge mais tout à fait adaptée à sa pratique culturale. Au passage, il évite un nid de vanneaux, posé à même la terre et que seul son œil pouvait voir. Un gros engin aurait éventré les oiseaux, parents et jeunes. «C’est un matériel archaïque, sans rapport avec l’agriculture moderne, mais qui nous donne une terre légère et très souple. Les gros tracteurs, ça plombe la terre. Ici, au contraire, tout est léger et naturel. Le broyeur permet de ramener les éléments nutritifs à la terre. Tout se recycle.»

Tout cela peut paraître hors du temps et pourtant nous ne sommes pas ici au fond de la Lozère, mais bien au cœur de la Communauté urbaine, dans une exploitation parfaitement rentable et rodée. La dernière étape de cette façon différente de produire est bien sûr le circuit court et la vente directe. On trouve Dominique les mercredis et vendredis sur le marché de la place du Concert à Lille. On trouvera aussi ses produits sur la route de Verlinghem, à l’enseigne des Produits paysans, mais également à la Ruche qui vend aussi par Internet des produits élaborés : confitures, tartes, pâtés. Qui a dit que le GAEC des Magrés et la culture traditionnelle étaient des anachronismes dans la MEL, à deux pas d’Euralille ?