Directoire et surveillance, entre attente et défiance
La révocation du directeur général adjoint de la Scop, Raphael Doutrebente, par ailleurs au même poste chez MyFerryLink, a déclenché une nouvelle tempête sur le Détroit , alors que Groupe Eurotunnel (GET) a entamé (depuis le 14 avril) ses négociations avec les candidats à la reprise de MyFerryLink et/ou de ses trois navires. En parallèle, le cour d'appel britannique peut rendre d'un jour à l'autre sa décision sur le recours de la Scop contre l'arrêt de la Competition Commission qui interdit au concessionnaire franco-anglais le transport sur fer et sur mer.
Ce sera donc la guerre entre la Scop des ex-SeaFrance et la direction de MyFerryLink qui cumule celle de la Scop, imposés qu’ils avaient été par Jacques Gounon, président de la maison mère de MyFerryLink au printemps 2012. Un montage juridique entre les sociétés qui portent les actifs navals (des filiales de type SCI, une part navire), la filiale d’exploitation commerciale à 100 % MyFerryLink et le contrat que cette dernière détient avec la Scop pour effectuer les traversées. La convention entre Eurotunnel et MyFerryLink est doublée d’une clause intuitu personae. En clair, le directeur de MyFerryLink, Jean-Michel Giguet, n’est pas éjectable. Le conseil de surveillance de la Scop l’a bien compris puisqu’il n’a convoqué le 13 avril dernier que le directeur adjoint, Raphaël Doutrebende, afin de lui signifier son congé. Absent et demandeur d’un report, le DG adjoint et son président de directoire avaient saisi quelques jours auparavant le tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer afin d’obtenir une mise sous sauvegarde de l’entreprise et la nomination de deux administrateurs judiciaires… “Nous espérons que cela puisse contribuer à calmer le jeu en cette période délicate pour tout le monde“, déclare John Keefe, nouveau porte-parole du groupe. Le conseil de surveillance, emmené par son président Didier Cappelle, aligne les griefs envers Raphaël Doutrebente. “Ça fait deux ans que le directoire attaque le conseil de surveillance. Nous n’avons jamais polémiqué avec lui. Le directoire ne rendait de comptes à personne, il s’est octroyé des titres et des rémunérations sans en référer au conseil de surveillance. On a un directeur adjoint qui fait le tour des ministères, qui prépare une offre et qui prend fait et cause contre une solution de SEM. Bien sûr que c’est une solution de repli, mais il faut l’étudier au cas où… Le temps est compté. Nous savons exactement ce que nous faisons”, explique l’ancien secrétaire du syndicat maritime Nord qui a remplacé au sein du directoire Raphaël Doutrebente par Philippe Caniot, “Il sera chargé d’étudier toute offre de reprise ou de SEM. C’est un spécialiste des montages financiers.“
Une paix armée. Chez MyFerryLink, les mots sont tout aussi durs : “M. Cappelle n’est pas le dirigeant de la Scop, M. Cappelle n’est pas le stratège. Il représente les sociétaires. Il a révoqué M. Doutrebente, ce qui pourrait constituer un début de procédure de licenciement…” Raphaël Doutrebente conserve toutes ses capacités opérationnelles dans la direction de la Scop. L’ambiance est à couteaux tirés et la suite des événements pourrait faire monter la tension alors que la réussite de ce montage entre coopérative, société d’exploitation et propriétaire des navires est avérée. “Malgré le peu de contrats à long terme sur le fret, dû aux incertitudes du sort de MyFerryLink depuis deux ans, c’est une réussite incontestable”, plaide en effet John Keefe. Cela est dû à la qualité de service de la Scop, comme à sa direction. L’entreprise a connu une vraie réussite depuis deux ans, en avance sur ses objectifs. Tous ces gens travaillent pour eux-mêmes ; la Scop est une structure privée, ce qui montre bien que le chemin du privé est le plus pertinent. Nous ne croyons pas à une SEM ; nous croyons à une vente 100 % privée.” La bataille en cours entre les deux têtes de la Scop est-elle préjudiciable ? “Je ne crois pas ; c’est beaucoup de bruit pour peu d’impact. Mais le bruit résonne et les repreneurs viennent de partout. Ce serait dommage de gâcher une si belle réussite.“
In fine, et jusqu’au prochain épisode, le calme est revenu. “Nous avons trop de respect pour Jacques Gounon et pour ce qu’il a fait pour compromettre quoi que ce soit“, apaise Didier Cappelle. La convention entre Eurotunnel et MyFerryLink n’étant pas menacée, les traversées s’enchaînent sans que rien ne change vraiment. De la possibilité d’une guerre, on est passé à une paix armée et à une partie d’échecs qui se poursuivra jusqu’à une vente, une décision favorable à la Scop du côté de la justice britannique, ou − plan B − une SEM avec les collectivités.