Devant Le Scouarnec, une de ses victimes soutient son regard et "veut savoir"

A la barre de la cour criminelle du Morbihan vendredi, Amélie Lévêque regarde dans les yeux avec une colère feutrée le pédocriminel Joël Le Scouarnec qu'elle accuse de l'avoir violée quand elle...

Ce croquis d'audience réalisé le 6 mars 2025 montre une victime (à droite) en cours d'audition et le chirurgien à la retraite Joël Le Scouarnec (à gauche) lors de son procès pour agression ou viol sur 299 patients, au tribunal correctionnel de Vannes © Benoit PEYRUCQ
Ce croquis d'audience réalisé le 6 mars 2025 montre une victime (à droite) en cours d'audition et le chirurgien à la retraite Joël Le Scouarnec (à gauche) lors de son procès pour agression ou viol sur 299 patients, au tribunal correctionnel de Vannes © Benoit PEYRUCQ

A la barre de la cour criminelle du Morbihan vendredi, Amélie Lévêque regarde dans les yeux avec une colère feutrée le pédocriminel Joël Le Scouarnec qu'elle accuse de l'avoir violée quand elle avait neuf ans: "Je veux savoir."

Accusé pour des violences sexuelles sur 299 patients, l'ex-chirurgien a détaillé dans ses carnets les viols et agressions sexuelles commis sur ses victimes, qui étaient mineures dans leur grande majorité à l'époque des faits, de 1989 à 2014.

Mais sur Amélie Lévêque, 43 ans, opérée de l'appendicite en 1991 à l'âge de neuf ans, le médecin ne note qu'une ligne, se remémorant un regard scabreux sur la "fente" de la petite fille.

Les regards accompagnés de pensées pédophiles n'étant pas réprimés par la loi, les enquêteurs ne la contactent pas.

Carré blond, fines lunettes et foulard gris, Amélie raconte comme elle apprend en 2019 par la presse que le médecin, interpellé deux ans plus tôt pour le viol de sa voisine de six ans, est désormais soupçonné de viols et agressions sexuelles sur plusieurs centaines de personnes.

En fait-elle partie? Elle dit avoir aussitôt appelé l'avocate de la jeune voisine, Me Francesca Satta. Qui lui confirme que le chirurgien mentionne bien une "Amélie" opérée à Loches (Indre-et-Loire).

"Moi, mon carnet, il ne parle que d'un regard, alors (Joël le Scouarnec) il va avoir un regard sur ma vie", lance-t-elle, la voix qui résonne, presque défiante, dans le silence du tribunal de Vannes.

Haine et dégoût

Phobie des hôpitaux, peur panique des aiguilles, anorexie, pleurs sans raison, épisodes dépressifs... Incapable de dormir sans somnifères depuis 2019, Amélie Lévêque égrène devant la cour les troubles qui l'affectent depuis son appendicectomie.

De son opération, la quadragénaire ne se rappelait que d'un chirurgien qui "était méchant et m'avait fait mal". 

Des séances d'EMDR (désensibilisation et retraitement par les mouvements oculaires) lui permettent de retrouver le souvenir d'une main sur son bas-ventre et d'une "douleur rapide dans l'entrejambe": une pénétration digitale vaginale, mais aussi, peut-être "un toucher rectal" imposé.

Elle se souvient d'avoir eu froid, et précise avoir eu une bronchite à la suite de son opération.

Sa voix se brise. Amélie Lévêque sanglote, paraît soudain plus menue qu'elle ne l'est. Puis elle se redresse et demande à la cour: "J'aimerais m'adresser à lui, si vous le permettez."

Lui, rigide sur son banc dans le box, ne bouge pas, écoute attentivement. Elle se tourne vers lui.

"Vous m'avez violée alors que j'étais une petite fille de neuf ans tellement joyeuse, et vous avez mis en moi tant de troubles, de phobies inexpliquées et enfouies", accuse-t-elle.

"Je vous regarde et j'ai un mélange de haine, de dégoût, une envie de vomir parce que malgré tout, vous me faites de la peine, vous ressemblez à un grand-père."

Les larmes affluent. "Je vous demande de me redonner ma joie de vivre parce que j'en ai vraiment besoin pour continuer", supplie celle qui "attend ce moment depuis cinq ans."

Les types comme moi

Poursuivi en ce qui concerne Amélie Lévêque pour viol sur mineur de moins de 15 ans, Joël Le Scouarnec avait demandé un non-lieu pour insuffisances de charge au motif qu'il n'a écrit, dans ses carnets, "qu'un acte de contemplation, sans contact physique".

Mais, lorsque la présidente Aude Buresi lui donne la parole, l'ex-chirurgien fait volte-face. "Je ne mets absolument pas en doute les souvenirs qu'(Amélie Lévêque) a eus après sa séance d'EMDR", dit-il.

"Ça ne peut pas être inventé. Il s'est donc passé quelque chose, ce qu'elle a pu évoquer, et qui ne peut que correspondre à une réalité", insiste l'accusé qui, comme d'habitude, ne se souvient, lui, "de rien".

"Les types comme moi, faut pas les laisser agir", conclut-il.

L'audience se poursuit. Amélie Lévêque laisse la place à une autre victime du médecin.

A l'extérieur, l'attendent ses parents qui la serrent dans ses bras, et un parterre de caméras et micros. Depuis l'annonce du procès, et même avant, elle a été l'une des rares à accepter d'être interviewée, désirant que "la honte change de camp".

Sur les marches du tribunal, la quadragénaire affiche un grand sourire. Elle se sent "vide, mais libre."

"Libre d'être heureuse", ajoute-t-elle après un court silence.

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