Dessinons le navire de pêche du futur

A l'invitation de la Mission Capécure 2020, qui a pour objet de réfléchir à l'avenir du port de Boulogne-sur-Mer, 1er port de pêche français, des professionnels de toutes les façades maritimes se sont réunis le 8 février au Centre national de la mer Nausicaà, pour préparer le navire de pêche des prochaines décennies.

De gauche à droite, Thomas Arvieu (ADEME), Cécile Bigot (DPMA), Gérard Higuinen (France Filière Pêche), Gérard Romiti (CNPMEM) et Olivier Leprêtre (Comité régional des pêches).
De gauche à droite, Thomas Arvieu (ADEME), Cécile Bigot (DPMA), Gérard Higuinen (France Filière Pêche), Gérard Romiti (CNPMEM) et Olivier Leprêtre (Comité régional des pêches).

En 2012, la France ne comptait plus que 7 235 navires de pêche – dont à peine plus de 5 000 sur les côtes métropolitaines – alors qu’elle en comptait 21 812 en 1938 et encore 16 623 en 1950. «La moyenne d’âge de la flottille est de 26 ans», rappelle Gérard Romiti, président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM). «En 2012, précise Cécile Bigot, directrice de la Direction des pêches maritimes et de l’aquaculture (DPMA), seuls 31 navires ont été construits, dont 5 seulement de plus de douze mètres.» Il est vrai qu’en 2004, l’Europe a interdit les aides à la construction de navires de pêche neufs. Et, actuellement, les investissements sont essentiellement destinés à moderniser les navires existants, alors que la rentabilité des bateaux ne cesse de s’amenuiser à cause de l’augmentation du coût du carburant et des tensions sur les ressources halieutiques (quotas).

D.R.

De gauche à droite, Thomas Arvieu (ADEME), Cécile Bigot (DPMA), Gérard Higuinen (France filière pêche), Gérard Romiti (CNPMEM) et Olivier Leprêtre (Comité régional des pêches).

Plusieurs défis. La pêche française doit tenter de relever de multiples défis : durer, garder un métier le plus sûr possible, viser la rentabilité, faire des économies d’énergie et respecter l’environnement en utilisant des engins de pêche plus sélectifs et moins impactants sur la ressource. C’est dans cet esprit que l’Etat a décidé de donner un coup de pouce à la recherche et à l’innovation et a lancé un appel à manifestations d’intérêt (AMI) pour un navire du futur. «Celui-ci, explique Thomas Arvieu (ADEME), doit être à la fois propre, plus économe, plus sûr, plus confortable et plus intelligent que ceux de la génération actuelle

Sur cinq projets déposés concernant un navire de pêche, seul un – ARPEGE (Approche réaliste pour une pêche générique), porté par le chantier naval boulonnais Socarenam – a été jusqu’à présent retenu par l’ADEME. Labellisé par les pôles de compétitivité Aquimer et Pôle mer Bretagne, il prévoit la construction d’un chalutier démonstrateur à l’échelle 1 à double propulsion (diesel/électrique), d’une longueur d’environ 24 mètres, et sa qualification en exploitation réelle . «Il devra constituer un nouveau standard de chalutier pour au moins les deux prochaines décennies», affirme Philippe Gobert, président de la Socarenam qui s’est fixé un seuil de dix navires construits d’ici cinq ans. D’un coût de 8 M€, le programme qui vient de débuter s’étalera sur deux ans : huit mois d’études, huit de construction et huit de démonstration. «Nous devons repartir d’une feuille blanche, explique-t-il, redessiner les carènes, penser à une gestion centralisée électrique et intégrer la nouvelle réglementation européenne du zéro rejet en mer.»

Bureau Mauric en est chargé. «L’évolution  importante de la forme de carène, associée à la bipropulsion, va contribuer à réorganiser complètement l’aménagement intérieur du navire et à améliorer la sécurité du flotteur, explique son président Pascal Lemesle. La réduction de la dépense énergétique passe par le pilotage global de la production de l’énergie et surtout de la distribution aux consommateurs. Les asservissements électroniques, variateurs, convertisseurs et autres équipements électriques sont maintenant largement miniaturisés et fiabilisés pour être intégrés à bord des navires. L’électricité ne peut pas être l’apanage de l’aéronautique. L’électricité est le maillon à franchir pour que, demain, les navires puissent utiliser des énergies non fossiles et renouvelables comme l’hydrogène.» Ce travail ne pourra se faire sans la concertation constructive avec les pêcheurs. L’Etaplois Alexis Hagneré, patron du chalutier Précurseur (adhérent de l’organisation de producteurs From Nord), est déjà prêt à s’investir et à investir.

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Le navire de pêche du futur, retenu par l'ADEME, a été dessiné par le bureau d'architecture navale Mauric (Marseille et Nantes).

Des navires démonstrateurs. D’autres projets sont en cours, même s’ils n’ont pas été retenus par l’AMI. «Grand Largue, à Saint-Malo, conçoit un chalutier en bois avec des voiles automatisées, annonce Philippe Kernéis (Pôle mer Bretagne), et le programme Philippine concerne un caseyeur-fileyeur innovant. Et nous travaillons également sur les apparaux de pêche.» Les nouvelles technologies s’accompagnent souvent de nouvelles énergies. Responsable de la Mission hydrogène MH², Laurent Baranger plaide pour l’hydrogène, source d’énergie très intéressante pour la pêche.

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Le chalutier La Frégate III est retourné au chantier qui l'a construit pour bénéficier, à titre expérimental, d'une motorisation hybride.

De même, à Boulogne, démarre en ce mois de mars 2013 la phase de démonstration de La Frégate III. Commandé par Thierry Leprêtre, ce chalutier étaplois est repassé par le chantier naval qui l’a construit (la Socarenam) pour bénéficier d’une nouvelle motorisation : «un moteur électrique, alimenté par deux générateurs qui fonctionnent au gasoil dans lesquels on injecte du gaz naturel», précise Eric Gosselin, directeur général de la Coopérative maritime étaploise. Dans un premier temps, les moteurs diesel et l’ensemble hélice-arbre ont été déposés et remplacés par deux génératrices Caterpillar − l’une, principale de 450 kW, alimentée au gasoil et au gaz naturel comprimé ; l’autre, de secours, de 250 kW exclusivement au gasoil −, alimentant une motorisation électrique attelée à une pompe hélice de Masson marine. L’entraînement hydraulique des treuils et enrouleurs sera assuré par des moteurs électriques afin de tester en fonctionnement réel l’économie de carburant. Le traditionnel diesel sera remplacé par du gaz naturel comprimé pour évaluer l’économie supplémentaire en carburant mais aussi le pourcentage de baisse des émissions de CO2. Managée par l’Ensta Paris Tech, une tranche périphérique alimentée par une pile à combustible sera ensuite intégrée dans la chaîne de puissance : «un essai d’introduction de l’hydrogène devrait être réalisé sur une courte période, ajoute Jacques Bigot, président de France pêche durable et responsable, si nous obtenons les dérogations indispensables».

Le chalutier va reprendre la mer pour deux années d’une expérimentation qui pourrait profiter à toute la flottille de pêche française. «L’objectif, pour Jacques Bigot, est de mesurer dans des conditions réelles les gains de consommation possibles dans tous les compartiments du navire, y compris les apparaux où l’on souhaite tester l’électricité. Le scénario idéal prévoit une consommation globale de l’énergie de 35 à 40%, et une diminution de 70% des émanations de carbone.» La démarche se veut pragmatique, le projet évolutif.

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Le chantier de La Frégate III a été inauguré par le ministre délégué aux Transports, à la Mer et à la Pêche, Frédéric Cuvillier, suivi par Cécile Bigot, de la Direction des pêches maritimes et de l'aquaculture.

La “croissance bleue”. Illustré par ces exemples concrets, le séminaire national sur le «navire de pêche du futur» a été conclu par le ministre des Transports, de la Mer et de la Pêche, Frédéric Cuvillier. «Il faut favoriser la ‘croissance bleue’ par la recherche et l’innovation, a-t-il déclaré. Le bateau du futur s’inscrit dans cette politique. Il faut redonner des perspectives par de l’intelligence économique, y compris dans le domaine de la pêche.»