Desseilles retrouve les profondeurs de la tradition dentellière
Sorti à deux reprises d'un redressement judiciaire après un reprise compliquée, le dentellier Desseilles retrouve des couleurs à l'occasion de la visite, le 8 mai dernier, de son client chinois Aimer, l'un des plus grands lingers-corsetiers asiatiques.
Si la visite d’une délégation complète d’entrepreneuses chinoises (17 femmes !) à Calais a retenu l’attention, c’est aussi parce que ce qu’elles sont venues voir la relève d’un des arts industriels français les plus fins. Fabricant de dentelles Leavers depuis 1947, Desseilles reste l’un des deux plus grands noms de la place de Calais avec Noyon. Si les deux dentelliers ont des relations avec les Chinois depuis les années 70 et 80, la relation a totalement changé : les Calaisiens sont fournisseurs d’un marché qu’ils craignaient à cause des copies. Aujourd’hui, des clients tels qu’Aimer poussent leurs marques de luxe, comme La Glover chez qui le soutien-gorge se vend plus de 200 euros… «C’est du très haut de gamme, extrêmement soigné raconte Jean-Louis Dussart, dirigeant de Desseilles, principal fournisseur de dentelles Leavers d’Aimer. Il y a du volume et de l’exigence. Les tests sont très complexes, rien ne passe à travers», ajoute-t-il. Les quelques cadres d’Aimer avaient invité leurs relations d’affaires, la plupart des importatrices de produits français en Chine : vins, spiritueux, agroalimentaire… Visite à la Cité de la dentelle, échange de cadeaux avec Natacha Bouchart, sénatrice-maire de la ville qui leur a ouvert le beffroi, avant de poursuivre leur chemin vers Londres.
Plus fine, plus solide et plus durable.
Chez Desseilles, les Chinoises ont longtemps fixé les mains de Gérard Dezoteux : le directeur de création de Desseilles approche le demi-siècle de travail dans la dentelle Leavers. Brunet, Noyon, Desseilles : il est passé par les plus grands de ces 40 dernières années, en période faste comme en période de crise. Créateur de la première dentelle flexible sur métier Leavers, le dessinateur de Desseilles, également actionnaire, s’était blessé à la main il y a quelques années. Depuis sa convalescence, il s’est replongé dans la tradition de la dentelle fine, la plus difficile et exigeante. Si le dessin se fait par informatique depuis longtemps, Gérard Dezoteux a en effet choisi de revenir au geste de la main. «La patte, c’est qui fera toujours la différence» explique-t-il aux visiteuses chinoises. «Au début de XXe siècle, dans les métiers Leavers, on pouvait faire obliquer un fil, ça donnait plus de possibilités, même s’il fallait finir la dentelle à la main explique Jean-Louis Dussart. Gérard clippe les fils de guimpes et les brodeurs en même temps1. Il n’y a pas beaucoup de métiers qui savent faire cela. C’est pour cela que notre dentelle peut avoir des motifs totalement isolés. Le pari de Gérard, c’est de faire plus fin, plus solide, plus durable.» Depuis une vingtaine d’années, la dentelle s ‘épaississait, Desseilles la raffine. Demain, Aimer pourrait peser 15% du chiffre d’affaires de Desseilles. Plus de la moitié de sa production est vendue à l’étranger. Avec Aimer, Desseilles retrouve d’autres clients en Chine, comme La Perla qui a pris Aimer comme distributeur. «Ce n’est pas étonnant du tout. Les Chinois développent leurs marques haut de gamme. Ils peuvent vendre les produits de leurs concurrents en Chine parce que leurs produits ne leur ressemblent pas», conclut le dirigeant.
1. La dentelle se tisse avec deux fils : guimpes, brodeurs. Les clipper signifier «raser» la dentelle pour la finir.