Desseilles passe sur le fil
Personne dans la profession ne donnait cher de la peau du dentellier Desseilles Laces au début de l'année. Un Caudrésien commençait même des travaux d'approche… En proie à des problèmes de trésorerie récurrents, l'entreprise était à deux doigts de la liquidation judiciaire, avant que les pouvoirs publics ne viennent à la rescousse.
C’était moins une… Un fin connaisseur du métier de dentellier le dit : «Parfois, il y a des séries noires, et parfois une pluie de bonnes nouvelles.» C’est ce qui est arrivé au dentellier Desseilles Laces ces dernières semaines. En redressement judiciaire deux fois lors des cinq dernières années, reprise ensuite par un triumvirat de cadres soutenus par les salariés, en prise avec des difficultés de financement récurrentes depuis trois ans, l’entreprise a finalement été aidée par les pouvoirs publics qui ne pouvaient faire moins après avoir soutenu par de nombreux achats fonciers et immobiliers son concurrent Noyon depuis une décennie. Pour Desseilles, la cavalerie est arrivée in extremis. Jean-Louis Dussart, son dirigeant, et ses actionnaires salariés Michel Berrier et Gérard Dezoteux avaient fait le tour des banques («les nôtres aussi») plusieurs fois avant de trouver enfin de l’aide : la communauté d’agglomération du Calaisis (CAC), la mairie de Calais, le Conseil régional et la banque publique d’investissement (bpifrance). La première via une avance remboursable de 100 000 euros ; la seconde à travers un appel d’offres de 128 000 euros remporté par le dentellier : il s’agit de recouvrir de dentelles un centre social (la Maison pour tous) − «40 m. de long, 4,4 m. de haut, un motif de 15 m. et 30 000 cartons pour la tisser» détaille Jean-Louis Dussart.
Taille, prix et marché. Desseilles devait également trouver le soutien d’une ou plusieurs banques. L’entreprise a en effet besoin de 800 000 euros. Le Conseil régional a donc décidé de garantir en partie un emprunt bancaire. Même la bpi, qui avait tourné un temps le dos à Desseilles, fera partie des garants. «On sollicite à nouveau les banques françaises et étrangères pour qui le patrimoine veut encore dire quelque chose», dit Jean-Louis Dussart, qui égratigne ainsi au passage les autres. L’an dernier, l’entreprise avait réalisé un chiffre d’affaires de 8,5 millions d’euros pour une perte de 0,6 million. Depuis deux ans, Desseilles réduit pourtant ses coûts : le départ des salariés tullistes protégés a permis d’économiser 400 000 euros. Côté fournisseur, Desseilles s’est peu à peu détaché de son voisin teinturier Color Biotech (détenu majoritairement par les dentelliers caudrésiens Solstiss et Bracq). Les hausses successives ont conduit Desseilles vers un sous-traitant autrichien : «On avait des augmentations de tarifs sur notre produit phare en bi-élastique…». En Autriche, Desseilles économise plus de 1 000 euros par lot de dentelle teinte (150 kg), transport compris : «On payait avant livraison à Calais, on paye à 30 jours en Autriche…» Un choix desservant la filière ? Jean-Louis Dussart a des réponses : «On ne retirera pas la question de taille dans l’industrie. Calais et Caudry ensemble en Leavers pèsent moins que Sakae Lace (un Japonais qui produit en Chine et au Viêtnam). Calais et Caudry ensemble sont plus petits pour la dentelle tricotée que Tien Hai (un Chinois). On a intérêt à être intelligents ensemble. Il faut mutualiser tout ce qu’on peut : stock, transport, achat de matières, expédition… Une usine commune, ce n’est pas impossible. Avec des marques différentes.» Mais le secret de fabrication, de dessin ? «Si vous mettez tout le monde ensemble, il n’y aura pas de copie : tout le monde saurait d’où ça vient !» Le marché de la dentelle reste énorme dans le monde, mais la portion qui revient à Calais, berceau dentellier, est de plus en plus congrue.