Recrutement : des tensions sur toute la ligne
Métiers sou tension ! L’expression apparaît-elle aujourd’hui tout simplement obsolète ? La réponse tend, de plus en plus, vers l’affirmatif. Si les secteurs «traditionnels» à l’image du bâtiment, de la restauration ou encore des services à la personne connaissent, depuis de nombreuses années, une tension forte en matière de recrutement, depuis deux ans elle s’est propagée à l’ensemble des domaines d’activité. Les offres d’emploi n’ont jamais été aussi importantes (toutes typologies de collaborateurs confondues) et dans le même temps, les difficultés de recrutement ne cessent de s’accentuer. La région et la Lorraine n’échappent à la règle. Cette donne pourrait tout simplement gripper fortement la dynamique de reprise engagée.
Recherche collaborateurs presque désespérément ! 82 % des dirigeants de TPE et PME déclarent rencontrer des difficultés de recrutement. Constat établi par Bpifrance tout début janvier dans sa 74e enquête de conjoncture des PME. En mai dernier, ils n’étaient «que» 75 % à l’affirmer. «La reprise d’activité est là, c’est une quasi-certitude mais elle pourrait être bien freinée par ces difficultés de recrutement. 43 % des chefs d’entreprise assurent que ces difficultés sont sévères et particulièrement dans les secteurs de la construction (56 %) et celui du tourisme (50 %).» Une donne corroborée par d’autres organismes à l’image de l’Apec (Association pour l’emploi des cadres). «La sortie de la récession et le retour progressif à un niveau d’activité d’avant-crise constituent une excellente nouvelle. Dans un avenir proche, le marché de l’emploi et principalement de l’emploi-cadre dans la région devrait renouer avec la croissance qui le caractérisait. Toutefois, malgré cette reprise, les entreprises continuent d’exprimer des difficultés à recruter et à fidéliser les cadres dont elles ont besoin», assure Jacques Triponel, le délégué régional pour le Grand Est de l’Apec à l’occasion de la sortie mi-décembre d’une analyse de l’attractivité des territoires et des opportunités d’emploi-cadre. «Les compétences pour les métiers à fort expertise technique, que ce soit dans l’informatique, l’ingénierie, la Recherche & Développement ou dans la sphère industrielle restent difficiles à trouver même dans les zones urbaines les plus attractives de la région. Dans les territoires à moindre densité économique, les difficultés sont encore plus prégnantes.» La sphère technique apparaît la plus touchée par ces difficultés de recrutement.
Quête de sens...
«C’est très tendu dans la maintenance spécialisée et plus globalement tout ce qui touche à la mécanique et à l’électronique. Nous avons recruté dernièrement un responsable maintenance mais nous avons mis plus de six mois à le trouver», assure le responsable Ressources Humaines d’un groupe de métallurgie régional. Si les profils technique et haute technicité s’affichent comme ceux les plus difficiles à recruter, les entreprises sont également confrontées à des tensions sur des profils plus classiques comme les cadres commerciaux, les responsables de paie ou encore les experts-comptables. «Depuis le début de la crise épidémique, nous avons beaucoup de mal à recruter des profils classiques dans nos métiers. À cette difficulté s’ajoute le fait que certains de nos collaborateurs, bien ancrés dans notre structure, depuis plusieurs années ont tout simplement décidé de changer de voie», assure une directrice d’un groupe d’expertise comptable de l’agglomération nancéienne. Cette fameuse quête de sens mis en avant notamment à l’occasion des différents confinements et les interrogations de certains collaborateurs sur leur véritable raison d’être professionnelle apparaissent aujourd’hui des variantes à prendre en considération. Elles peuvent être l’une des raisons (pas forcément la plus importante) des difficultés de recrutement rencontrées par bon nombre d’entreprise. «Comme beaucoup de monde, lors des confinements, je me suis posé des questions. Il me fallait tout simplement autre chose pour me réaliser et atteindre un véritable épanouissement professionnel», assure une ancienne collaboratrice d’une PME régionale ayant décidé de se lancer à son compte. Des témoignages comme celui-ci, ils commencent à être nombreux tendant à démontrer que de nouvelles aspirations guident aujourd’hui les potentiels collaborateurs d’entreprises. Et ce dans tous les secteurs d’activité même les moins enclins auparavant à ces questions quasi existentielles. «Je n’arrive pas à trouver un nouveau chef d’atelier pour l’extension de mon nouveau site. La plupart des candidats que j’ai reçus avaient des aspirations, non pas salariales, mais autres comme le refus de réaliser certaines tâches pourtant liées à la fonction. Il existe une véritable lassitude des entrepreneurs dans cette difficulté récurrente et amplifiée aujourd’hui en matière de recrutement. La solution pour bon nombre est de tenter de trouver les compétences en interne», constate un dirigeant d’une entreprise du bâtiment du second œuvre. Un état de fait qui touche notamment les emplois cadre.
Situation kafkaïenne
Quinze métiers cadres aujourd’hui concentrent les plus grandes difficultés de recrutement à savoir : agents immobiliers, ingénieurs du BTP et chefs de chantiers, cadres techniques de la maintenance et de l’environnement, ingénieurs et cadre d’étude dans l’informatique, ingénieurs dans la fabrication et la production, cadres dans le secteur des assurances, cadres administratifs comptables et financiers, technico-commerciaux, ingénieurs des méthodes de production, ingénieur en R&D dans l’industrie, cadres commerciaux et acteurs dans la mercatique, cadres de ressources humaines et de recrutement, secrétaires de direction, ingénieurs et cadres d’administration et maintenance informatique, chercheurs. Le spectre est plus que large et force est de constater que toute la chaîne des collaborateurs d’entreprise est concernée par ce que l’on pourrait tout simplement qualifier de véritable épidémie. «Aujourd’hui, ce ne sont pas les difficultés liées à la crise sanitaire comme la crainte d’un absentéisme non gérable des collaborateurs déclarés positifs à la Covid-19 ou cas contact qui pénalisent les entreprises, ce sont les difficultés d’approvisionnement des matières premières et ces difficultés de recrutement qui explosent», assure un responsable d’organisme patronal de la région. Une situation quasi kafkaïenne car face au rebond de l’activité, notamment enregistré dans les derniers mois de l’an passé, les PME semblaient avoir accéléré leurs processus d’embauches d’après l’enquête de Bpifrance de début d’année. «Le rebond de l’emploi s’observe dans l’ensemble des secteurs, hormis celui du tourisme. Le solde d’opinion sur l’emploi est plus élevé dans les Services (à + 21 en hausse de 23 points sur un an) où il se stabilise par rapport à mai dernier contrairement aux autres secteurs où il est en léger recul sur le semestre. Les embauches seraient également dynamiques dans l’industrie, où l’indicateur dépasse son niveau d’avant-crise à l’inverse des autres secteurs», peut-on lire dans l’enquête de la Bpi. Cette volonté certaine (et plus que nécessaire) d’embaucher est majoritairement présente dans les PME d’au moins dix salariés et les entreprises innovantes même si «les dirigeants des TPE sont moins optimistes qu’en mai dernier sur l’évolution de leurs effectifs», assure un professionnel du recrutement.
Lever les freins
D’après les différents statistiques et chiffres disponibles aujourd’hui (dont notamment ceux de l’Insee), l’emploi apparaît bien se porter et notamment dans la région (avec les aujourd’hui traditionnelles disparités territoriales). L’accélération des embauches est cohérente avec la dynamique des créations d’emplois observées depuis le début de l’année 2021, avec plus de 541 400 créations nettes d’emplois salariés dans le secteur privé au niveau national sur les trois premiers trimestres de l’année 2021 contre un recul marqué en 2020 (dans la région, 45 000 postes ont été créés entre les deuxièmes trimestres 2020 et 2021). Au deuxième trimestre 2021, l’emploi salarié avait déjà dépassé son niveau de fin 2019 (supérieur de plus de 190 600 emplois). Un état de fait rendu, en grande majorité, possible grâce à la politique du «quoi qu’il en coûte» mis en place par l’État. Les quelque 470 milliards d’euros engagés dans l’économie depuis le début de la crise sanitaire ont permis aux entreprises de ne pas licencier et surtout de continuer à embaucher. Les «perfusions» actuelles seront un jour retirées et l’inquiétude déjà bien palpable dans la sphère entrepreneuriale au niveau du remboursement des PGE (Prêts garantis par l’État) pourraient entraîner une autre dynamique en matière de politique de recrutement. Quel que soit le scénario envisagé, une chose apparaît certaine, les difficultés de recrutement ne devraient pas s’estomper, elles devraient continuer inexorablement à s’accentuer. Reste aux entreprises à prendre conscience des freins présents aujourd’hui liés au recrutement et tenter de les lever. Une remise en question certaine dans leur approche des potentiels futurs collaborateurs. Des candidats, du moins pour certains, qui semblent être les véritables maître du jeu...
Pôle emploi lance le Moment Pro
Aider les entreprises à recruter, l’une des missions de Pôle emploi. Dans l’armada des outils aujourd’hui disponibles, l’organisme vient d’annoncer le lancement d’un magazine sur une chaîne YouTube (https://youtu.be/RqQpTvJ3wEs). Objectif : faire connaître les services personnalisés, les conseillers dédiés. D’une durée, d’environ 13 minutes, ce mini talk-show interview, focus et questions-réponses se succèdent sur les services proposés aux entreprises par Pôle emploi.