Des Cpme locales dessinent «le jour d'après»
Que faire, pour que les PME s'en sortent ? Décryptage d’économiste et témoignages de dirigeants d’entreprises, lors d'un webinaire organisé par plusieurs Cpme locales.
«Le jour d’après» ? Il sera «très compliqué», répond Nicolas Bouzou, économiste, au wébinaire consacré à ce sujet, organisé par plusieurs CPME locales, le 26 mai dernier. Le constat, d’abord, c’est que «nous avons passé le point bas. L’activité économique remonte doucement. La situation est en voie de normalisation», constate l’économiste. Les chiffres demeurent faibles : le commerce non -alimentaire reste à 50% de son activité normale, et les proportions sont les mêmes pour les lieux de transition, comme les gares et les aéroports «La récession que nous connaissons est la plus forte depuis 1941, avec une baisse du PIB qui se situe entre 10 et 15%. Avec la crise de 2008, la récession n’avait atteint que 3% du PIB», rappelle Nicolas Bouzou.
Par ailleurs, cette crise est d’une nature «extraordinaire», poursuit l’économiste : «il ne s’agit pas d’une crise économique endogène. Nous avons décidé de tout fermer pour protéger les individus, en brisant la chaîne de contagion. C’est la première fois dans l’histoire de l’Humanité que nous avons accepté un appauvrissement général, pour protéger la santé de ceux qui sont les plus fragiles», analyse-t-il. La crise frappe l’ensemble du territoire, sans distinction entre les zones rouges et vertes. «Nous avons été impactés de la même façon que les autres territoires» par les mesures sanitaires, déclare Olivier Morin, président de la Cpme, Pays de la Loire. «Il n’y a pas de différence», confirme Brigitte Le Cornet, présidente de la Cpme Bretagne, évoquant notamment les difficultés liées aux faibles capacités d’accueil des écoles.
Le délicat moment charnière
Actuellement, «nous sommes en train de nous préparer pour la prochaine saison touristique (…) Nous serons prêts», annonce Olivier Morin. Derrière ce volontarisme affiché, les inquiétudes sont nombreuses, chez les intervenants : «nous allons devoir faire face à une augmentation du coût de notre outil de production, alors qu’il y a moins de rentrées financières, car il y a moins de clients», analyse Samuel Cette, président de la Cpme Occitanie. Bernard Cohen-Hadad, président de la Cpme Île-de-France, lui, évoque «l’inquiétude» des chefs d’entreprise et des salariés qui étaient en zone rouge, entre angoisse de reprendre les transports en commun, et difficultés à mettre en application les protocoles sanitaires.
Globalement, le plan d’urgence mis en œuvre par le gouvernement durant le confinement a été efficace, jugent ces représentant locaux de patrons de PME. Mais ils soulignent aussi certains points négatifs ou effets pervers potentiels. Ainsi, Brigitte Le Cornet évoque la «distorsion de concurrence» advenue durant le confinement, qui résulte du fait que la grande distribution a pu continuer à proposer des produits que les petits commerces, fermés, ne pouvaient plus vendre. «Il faut être très vigilant maintenant sur l’accompagnement de ceux qui n’ont pas pu travailler», recommande-t-elle. Quant aux déclarations de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, qui avait accusé les chefs d’entreprise du bâtiment de manquer d’allant pour rouvrir leurs chantiers à l’issue du confinement, elles continuent de «heurter» Olivier Morin.
«Nous avons besoin d’une relance keynésienne»
Pour la suite, contrairement à la crise sanitaire, difficile à prévoir, «la vague du chômage et des faillites est devant nous. Nous la voyons venir, pour septembre. Il faut dès maintenant, prendre des mesures (…). Il faut raccourcir au maximum la récession (…), protéger les plus fragiles», synthétise Nicolas Bouzou. Après la phase de confinement, vient la «séquence plus compliquée de réanimation des entreprises», poursuit l’économiste. Les enjeux : réussir la sortie du chômage partiel, faire en sorte que le PGE (Prêt garanti par l’Etat) ne devienne pas une dette corporate énorme, contenir la hausse du chômage… Pour s’en sortir, «nous avons besoin d’une relance keynésienne», prône Nicolas Bouzou. Parmi les mesures qu’il préconise, figure par exemple «une baisse de la TVA ciblée et temporaire, pour trois à six mois, qui permettrait de donner un peu de pouvoir d’achat aux ménages et de marges aux entreprises».
Autre levier à actionner : celui de la relance de l’investissement des entreprises dans des projets qui accroissent leur compétitivité, comme l’achat de robots, d’imprimantes 3D, ou de logiciels d’intelligence artificielle, via des dispositifs d’amortissement accéléré ou de sur-amortissement. Pour contenir la hausse du chômage, les mesures pourraient consister en des exonérations de cotisations patronales, des aides à l’embauche, un relais financier pour soutenir les apprentis qui mettent du temps à trouver leur stage… «Cela va faire beaucoup de dette publique. Mais aujourd’hui, nous n’avons pas le choix. Nous avons besoin de relancer l’économie. Si on fait de l’austérité, les entreprises vont faire faillite. Il faut gérer l’augmentation de la dette publique, mais il faut l’assumer», conclut l’économiste.
Investir dans l’usine du futur
Une analyse qui semble proche de celle d’Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Economie. «Devant nous, il y a une phase d’accompagnement de la reprise, une nécessité absolue», résume la secrétaire d’État. Un exercice dont la complexité s’illustre dans la gestion de l’outil massivement utilisé durant la crise, le chômage partiel. «Il faut qu’il soit assez amortisseur, mais qu’il permette le rebond, sinon, on risque l’effet morphine, qui adoucit la douleur, mais dont on peine à se déparer. La logique du chômage partiel est d’accompagner sa réduction, mais il n’est pas question de débrancher brutalement», explique Agnès Pannier-Runacher.
Le gouvernement a par ailleurs annoncé que les exonérations sociales et fiscales sont totalement effacées pour les entreprises des secteurs les plus touchés, ou fermées, pour quatre mois, à hauteur de 3 milliards d’euros. Et, au-delà de la nécessaire relance de la consommation, qui passe par une transformation de l’épargne en dépenses, la secrétaire d’Etat mise sur l’offre : «Nous allons concentrer les dépenses sur ce qui nous apporte des points de compétitivité. Dans l’automobile, nous mettons de l’argent pour accompagner les investissements dans les usines du futur. Cela va permettre aux PME et aux autres entreprises d’investir sans alourdir leur dette, de gagner points de compétitivité et des parts de marché à l’international», annonce-telle. Des mesures devraient être également prises pour encourager les PME à la numérisation.