Retour sur le 118e congrès des notaires de France

David Ambrosiano : «La profession notariale ne peut plus boire au calice d’une dérégulation empoisonnée»

Le 118e congrès des notaires de France s’est tenu du 12 au 14 octobre à Marseille, sur le thème de l’ingénierie notariale. Retour sur le discours du président du Conseil supérieur du notariat, David Ambrosiano, qui arrive à la fin de son mandat de deux ans à la tête de l’institution, lors de la séance solennelle du congrès.

Lors de la cérémonie d’ouverture du 118e congrès des notaires de France à Marseille. © CSN
Lors de la cérémonie d’ouverture du 118e congrès des notaires de France à Marseille. © CSN

«Il appartient au CSN de préparer le notariat de demain», a déclaré le président du Conseil supérieur du notariat, David Ambrosiano, avant de présenter trois des «projets stratégiques» mis en œuvre par la profession. Le premier est le projet «d’autorité souveraine d’enregistrement», lancé il y a un an, pour «faire en sorte que, sans interruption du rendez-vous et sans recourir à une quelconque société de droit étranger, le notaire puisse, au moyen d’outils de la profession, procéder à l’identification des parties lors d’un rendez-vous avec comparution à distance du client, en vue de la signature d’une procuration authentique». Ce projet, aujourd’hui «techniquement terminé», est en attente d’une validation par l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI).

Vers un répertoire électronique et des outils utilisant l’intelligence artificielle

Moins avancé, car il vient d’être lancé, le deuxième projet concerne la création d’une version électronique du répertoire (registre dans lequel les notaires doivent inscrire, jour par jour, les actes qu’ils reçoivent). «L’ambition est non seulement de créer un outil collectif, appuyé sur notre minutier central électronique, mais également, à terme, de numériser les répertoires actuels, passé et futurs, afin de permettre à toute personne ayant un intérêt légitime de retrouver facilement un acte dont elle ou l’un de ses ayants-droits est partie», a expliqué le président du CSN. Ce qui ne signifie pas pour autant que le répertoire va disparaître sous sa forme papier, car «la fonction première du répertoire est de pouvoir reconstituer les minutes, si celles-ci venaient à disparaître, or, dans un futur totalement numérisé, l’un des premiers champs de bataille des futurs conflits sera celui de la destruction des données».

Troisième exemple de projet stratégique porté par la profession : mettre l’intelligence artificielle au service de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Pour faciliter le travail des notaires, qui sont assujettis à des obligations de vigilance en la matière, le CSN envisage ainsi « de doter la profession d’un outil d’intelligence artificielle permettant de mieux détecter les anomalies et d’alimenter Tracfin », la cellule française de renseignement financier.

Ralentir le rythme de création de nouveaux offices et de révision du tarif

Le président du CSN a, par ailleurs, adressé aux représentants de la Chancellerie «des revendications qui ne sont pas nouvelles» concernant la création de nouveaux offices et la révision du tarif. «C’est vrai, nous n’avions pas assez de notaires en 2015, et l’offre de services notariaux a été dynamisée là où c’était nécessaire sur tout le territoire, mais il faut passer aujourd’hui à un rythme de croisière réaliste et sans heurts après les secousses du démarrage. (…) Je vous conjure, Monsieur le ministre, de faire en sorte que la périodicité de la révision des cartes soit revue (…) et de ne pas bouleverser les équilibres du tarif, auquel les mesures de 2020 ont déjà donné de la souplesse. Vous avez eu, Monsieur le ministre, la grande sagesse de repousser jusqu’à février 2024 la prochaine révision du tarif, et tous les notaires ici présents vous en remercient. Mais je pense que dans les temps troublés qui s’annoncent, il sera sage de s’accorder une pause un peu plus prolongée.» Aujourd’hui, la priorité et l’équilibre qu’il convient de rétablir au sein de la profession concerne avant tout «le nombre d’associations dans les offices existants, autrement dit, le ratio entre les notaires libéraux et les notaires salariés».

Plaidoyer contre l’ultra-libéralisme et la dérégulation

Le discours du président du CSN a ensuite pris une tournure très combattante. «Il n’est pas concevable que cette profession puisse être livrée sur tous les sujets à la loi du marché, au risque de la placer en situation de dépendance, au mieux, d’insécurité, au pire», a-t-il déclaré. «Nous avons été abreuvés par le catéchisme de la dérégulation», mais aujourd’hui «les chantres plus ou moins sincères d’une mondialisation heureuse sont démasqués, les promoteurs d’un libéralisme absolu se révèlent pour ce qu’ils sont au fond, des défenseurs de groupes de pression aux intérêts le plus souvent égoïstes».

Et de rappeler l’affrontement «courtois mais féroce» entre la common law, «secondée par une vision ultra-libérale», et le droit continental, «appuyé sur une vision raisonnable d’une régulation ex-ante». «Ceux qui veulent le triomphe de la common law sont les mêmes que ceux qui veulent avec acharnement la dérégulation», et «cette idéologie ultra-libérale a vidé l’Union européenne d’une partie de sa substance d’origine». 

Les notariats européens «ne peuvent être isolés dans la défense de leur modèle de profession réglementée du droit» et les pouvoirs publics «ne doivent pas sous-estimer l’enjeu civilisationnel, et surtout géopolitique de ce combat» entre des visions opposées du droit et de la société. Et de conclure : «la profession notariale ne peut plus boire au calice d’une dérégulation empoisonnée et contraire à nos traditions, contraire aux attentes de notre société, et qui n’est pas dans le génome des sociétés européennes.»

Bientôt un nouveau code de déontologie

Le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, qui a participé à cette séance solennelle et s’est adressé à la profession par visioconférence, est rapidement revenu sur les réformes mises en œuvre depuis le congrès précédent. À commencer par la refonte de la déontologie et de la discipline de la profession, avec l’élaboration d’un code de déontologie, «dont la rédaction est bien avancée», et qui sera complété par «des règles professionnelles» qui seront autant de «déclinaisons pratiques». Le ministre a également assuré que la Chancellerie serait «en soutien» de la profession sur le terrain du numérique. Enfin, il a déclaré avoir demandé à ses services d’étudier les 15 propositions de simplification du droit présentées par les notaires en juillet dernier, et d’expertiser celles visant à faciliter le règlement des successions et à simplifier le mandat de protection future.

Les propositions des notaires pour adapter la loi aux évolutions de la société

Lors du 118e congrès des Notaires de France, la profession a débattu et soumis au vote plusieurs propositions visant à adapter des dispositions de la législation française concernant l’immobilier, la vie de l’entreprise ou le droit de la famille.

En matière immobilière, les principales propositions visent à inviter le législateur à fixer une définition claire des notions de professionnel et non professionnel de la vente d’immeuble, à tenir compte de la qualité du vendeur (simple particulier, sachant ou non, ancien exploitant, etc.) pour moduler l’étendue de son obligation d’information à l’égard de l’acquéreur, à réserver la protection prévue dans le cadre des ventes sur plan (VEFA) aux seuls acquéreurs non professionnels de l’investissement immobilier, et à repousser la formation du contrat de vente portant sur un immeuble à la signature d’un acte authentique (et non au seul accord sur la chose et le prix).

Sur le terrain des entreprises, la profession propose tout d’abord de créer une nouvelle forme sociale simple et souple, la société « libre », à mi-chemin entre les fortes contraintes légales imposées aux SARL et la quasi-totale liberté accordée aux SAS. Elle préconise également d’harmoniser le régime juridique des « droits sociaux » non cotés, de créer un « certificat de conformité juridique et éthique » délivré à l’entreprise par un professionnel exerçant une profession réglementée et, enfin, de réformer le cadre du fonds de pérennité, car ce véhicule philanthropique créé en 2019 n’a toujours pas rencontré son public.

En matière de droit de la famille, les principales propositions visent à créer un nouveau régime d’information juridique pour les futurs époux, le « certificat prénuptial », obligatoire et délivré gracieusement par les notaires, à permettre de définir la contribution des époux aux charges de la vie courante par contrat de mariage, à sécuriser la détermination du montant de la prestation compensatoire en empêchant le juge de se prononcer avant la liquidation du régime patrimonial des époux, et à permettre à un héritier de faire un « saut de génération » pour une partie de l’héritage, au profit de ses descendants ou de ses cohéritiers.

Enfin, la profession préconise d’assouplir les modalités de création, de taxation et d’extinction des contrats de fiducie – un dispositif qui rencontre peu de succès – et d’élargir le statut de fiduciaire à de nouveaux acteurs.