Entretien avec Hélène Duret, directrice du musée La Piscine à Roubaix
Dans le grand bain
A la tête de La Piscine à Roubaix depuis septembre dernier, Hélène Duret a succédé à Bruno Gaudichon qui a placé le musée sur la carte européenne. Une tâche qui n'effraie pas la nouvelle directrice qui ambitionne d'écrire, à sa manière, un nouveau chapitre marquant de l'histoire de ce lieu unique.

Pouvez-vous retracer votre parcours ?
Je suis originaire de Lyon mais j'ai fait l'essentiel de mes études à Paris en Histoire et en Histoire de l'art. Je suis allée à l'École Normale Supérieure et à la Sorbonne. J'ai passé le concours de conservateur du Patrimoine, puis je suis arrivée dans le Nord en 2019 au LaM (musée d'art moderne de Lille Métropole, ndlr) et je n'ai plus voulu repartir ! Il n'y a aucune autre région qui a cette densité de musées, surtout de petits musées, de petits joyaux nichés dans des villages… Mais aussi pour la chaleur humaine - c'est un cliché !-, mais qui est quand même incomparable.
Après
le LaM, j'ai pris mon premier poste à Valenciennes en 2020 en tant
que directrice adjointe du musée des Beaux-Arts, où j'étais
chargée de tout ce qui touche au public. Mais dans un contexte un
peu particulier, qui était celui d'une fermeture pour rénovation.
C'était une expérience hors normes dans tous les sens du terme.
Comment succède-t'on à Bruno Gaudichon et ses 35 ans de direction, lui qui a imaginé ce musée pour l'installer sur la carte européenne ?
C'est un moment particulier de succéder au fondateur et d'écrire un nouveau chapitre après un premier long chapitre. Il y a évidemment des acquis qui font l'identité des origines du musée : le projet de musée solidaire, l'idée fondatrice de faire coexister Arts appliqués et Beaux-arts… Ce sont évidemment des valeurs que je vais continuer à porter après Bruno Gaudichon. Je n'aurais pas postulé si je n'y avais pas cru.
J’aimerais réinvestir ces valeurs en renouvelant le pari d’un musée ouvert à tous les publics, par exemple en proposant de nouveaux outils de médiation à utiliser en autonomie, que ce soit de l’écrit, du tactile, du ludique… Il y a aussi la question du design universel qui me tient à cœur : des outils pensés pour tous les publics, plutôt que de segmenter en proposant des dispositifs à destination de publics spécifiques, par exemple pour les personnes en situation de handicap.
L'équipe
que j'ai trouvé en prenant ce poste est extrêmement compétente et
a très envie de mettre en œuvre de nouveaux projets. C'est un
travail qui se fait collectivement. C'est une évolution, pas une
révolution. Je suis plus réformatrice que révolutionnaire !
Lors de votre nomination, vous avez dit vouloir tisser «des dialogues fertiles entre arts décoratifs, textiles et beaux-arts, en lien avec les territoires»… Pouvez-vous développer ?
Il y a deux choses dans cette phrase. La première, ce sont les dialogues entre les différentes collections. Cela existe depuis l'origine, parce que c'est l'héritage du musée d'art et d'industrie, avec cette idée de faire coexister les Arts appliqués et les Beaux-Arts et les mettre sur un pied d'égalité. J'aimerais aller encore plus loin dans ce dialogue parce qu'aujourd'hui, ce sont des espaces différents du musée consacrés aux deux pans de collections. Je pense plutôt qu'on comprend bien une époque lorsqu'on a vraiment les deux côte à côte. Avoir un portrait mondain de l'entre-deux-guerres et, à côté, le tissu de la robe portée par la maîtresse de maison permet de comprendre l'époque et ce qui mobilise les forces industrielles, les forces créatives, l'argent et le pouvoir. Je souhaite développer encore davantage de transversalité.
L'autre
aspect de cette question, ce sont effectivement les liens avec le
territoire, parce que je suis convaincue que La Piscine n'aurait pas
pu exister ailleurs qu'à Roubaix. Pas seulement à cause du
bâtiment, qui est extraordinaire, mais aussi parce que ce projet
entre art et industrie ne pouvait exister que sur un territoire aussi
industriel que Roubaix. C'est un territoire où il y a énormément
d'artistes et beaucoup d'entreprises créatives. Selon moi, on ne
peut pas poursuivre ce projet de musée sans tisser des liens
étroits, d'autant que le musée a un rapport aux entreprises à
travers le cercle des entreprises mécènes. Mais aussi, plus encore,
dans le cadre de la future extension car si on parle davantage d'arts
décoratifs, il faut aussi parler des entreprises qui les mettent en
œuvre.
En quoi consistera la seconde extension du musée ?
C'est
un projet qui a la chance de bénéficier du soutien du maire et, de
toute façon, c'est un projet qui s'impose aujourd'hui parce les
collections d'arts décoratifs sont très à l'étroit dans leurs
vitrines.C'est très visible pour les céramiques mais aussi pour les
collections mode et textiles. Cependant, à ce stade, il n'y a pas de
calendrier ni d'implantation précisément définie. Notre prochaine
étape, c'est plutôt de nous concentrer sur l'écriture d'un projet
scientifique et culturel, un projet d'établissement. Celui-ci est
demandé par le ministère de la Culture et fera probablement
apparaître un certain nombre de manques et de besoins qui vont
probablement dessiner les contours de l'extension.
Avez-vous déjà des idées pour votre première exposition ?
Ma première vraie exposition ne sera probablement pas avant 2027 ! Un projet d'exposition, c'est minimum deux ans à l'avance. Aujourd'hui, la programmation de Bruno Gaudichon est dessinée jusque fin 2026, avec plutôt des projets portés par mes collègues conservatrices qui sont d'une très grande pertinence. Sur 2027, nous travaillons à plusieurs hypothèses, notamment autour de la figure de Jean Bauret, grâce à d’importants dons faits par son fils Gabriel. Jean Bauret était un imprimeur textile qui a fait le pari de travailler avec des très grands noms de l’art moderne pour les motifs de ses tissus : Kandinsky, Dufy… Un vrai projet pour La Piscine, à la croisée des techniques !
En
revanche, il y a de petites choses qui vont se faire, comme notamment
travailler pour l'été 2025 sur un accrochage permanent dans les
cabines, qui étaient jusqu'à présent un espace d'exposition. Et
mettre davantage en valeur le lien entre les collections et les
bâtiments, parce qu'on a beaucoup d'œuvres qui ont un vrai lien
avec l'ancienne piscine, que ce soit des objets, des pièces en
rapport avec les sports aquatiques, avec l'eau de manière plus
générale. Sans oublier la figure, très importante en histoire de
l'art, de la baigneuse, qui pose la question du
regard des artistes (souvent hommes) sur des modèles (souvent
femmes), plus encore lorsqu’il est question de nus.
Vous souhaitez développer le volet événementiel...
Pour
plusieurs raisons. La première, c'est l'envie de
pluridisciplinarité. Se dire que la musique, la danse, le théâtre,
le cirque ont leur légitimité au milieu des œuvres, c'est quelque
chose qui me tient beaucoup à cœur. Et puis je crois que
l'événementiel fait venir des publics qui ne viennent peut-être
pas forcément pour les collections ou les expositions. C'est à nous
de leur proposer une porte d'entrée différente.
Vous dirigez une équipe conséquente, 80 personnes environ. Quelles formes de management préconisez-vous ?
Ce
qui m'intéresse dans la direction,
c'est le sens premier du terme, c'est-à-dire de donner une
direction, d'aller ensemble quelque part. Ce n'est pas d'être dans
la hiérarchie pyramidale. Ce que j'essaie de mettre en œuvre dans
mon management, c'est d'être la capitaine du navire, mais que l'on
va ensemble quelque part, sans laisser personne tomber à l'eau. Et
trouver comment on y va. Faire équipe : je ne suis pas
au-dessus, même si c'est moi qui montre la direction.
Une nouvelle génération est arrivée à la tête des musées du Nord et du Pas-de-Calais, dont une majorité de femmes. Quel est votre regard là-dessus ?
Je ne suis pas convaincue qu'une femme qui occupe un poste l'occupe différemment d'un homme. Je me méfie toujours de cette question de l'essentialisme. Je suis féministe parce que je suis égalitariste et, malheureusement, l'organisation systémique de notre société fait qu'il y a encore beaucoup d'acquis à défendre et à aller chercher pour les femmes. Mais ce n'est pas parce qu'une femme fait quelque chose que c'est mieux que ce que fait un homme. Je me méfie beaucoup de certains raccourcis.
Après, je pense que l'arrivée de femmes dans des directions de structures culturelles, c'est une très bonne nouvelle, au sens où cela me gêne toujours profondément d'avoir des métiers très féminisés dirigés par des hommes. Cependant aujourd'hui, j'ai une équipe très féminine et j'adorerais qu'il y ait plus d'hommes. Cela dit, je trouve qu'il est normal qu'il y ait la même proportion de femmes à la tête des établissements, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent.
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Bonus
Une femme inspirante ?
Je citerai Nadeije Laneyrie-Dagen, professeure d’histoire de l’art à l’École Normale Supérieure, qui m’a formée. Mais aussi Beyoncé et Virginie Despentes !
Un lieu inspirant ?
Le Art Depot Museum Boijmans Van Beuningen, à Rotterdam. Une vaste réserve visitable dans un lieu incroyable, forcément un modèle pour d’autres musées !
Une œuvre inspirante ?
Le travail de la sculptrice flamande Berlinde de Bruyckere, notamment ses corps en cire. C’est un peu glaçant parfois, mais c’est un très grand travail plastique qui nous prend aux tripes.
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