Damien Deleplanque : “L’humilité metl’entreprise en progrès, impulse les avancées”
Le 29 mai, Damien Deleplanque était invité dans le cadre des débats du CJD (Centre des Jeunes Dirigeants) Lille Métropole que préside Laurent Bazin. Le PDG du Groupe Adeo a présenté son expérience sur le thème : “La clé du succès : l’humilité”. Ces déjeuners-débats sont organisés en partenariat avec la Caisse d’épargne Nord France Europe, KPMG, La Gazette Nord - Pas de Calais ainsi que La Flandre, société d’audit et de courtage d’assurances.
Ce dernier débat d’idées de l’année s’est tenu hors cadre, dans les locaux mêmes du nouveau siège d’Adeo à Ronchin, sur le Campus de l’habitat. Plus de 160 auditeurs étaient présents : ils ont posé leurs questions directement à Damien Deleplanque pendant plus d’une heure. Cette dernière séance était aussi celle du président du CJD Lille Métropole, Laurent Bazin, qui a transmis la fonction à Etienne Demouy pour la rentrée 2012.
A 55 ans, Damien Deleplanque est à la tête de 66 000 collaborateurs issus de 25 entreprises réparties dans 13 pays. Le Nordiste, né à Malo-les-Bains et étudiant à Valenciennes, stagiaire en manutention à ses débuts chez Leroy Merlin, a réalisé un parcours exemplaire comme on les aime ici. Employé à Noeux-les Mines, il a gravi tous les échelons pour devenir successivement chef de rayon, directeur de magasin, directeur général de Leroy Merlin Espagne, avant de devenir directeur général, en 1993, de Leroy Merlin Groupe, renommé Groupe Adeo depuis 2007. Premier acteur français sur le marché international du bricolage, n°2 européen et n°4 mondial, Groupe Adeo (Leroy Merlin, Aki, Bricocenter, Weldom, Bricoman, Kbane, Zodio et Dompro) a réalisé un chiffre d’affaires de 14,1 milliards d’euros en 2011, pour une croissance annuelle de l’ordre de 11%.
Quel est votre moteur personnel ?
Damien Deleplanque. C’est de voir que les personnes que je rencontre dans nos entreprises avancent et révèlent leur potentiel. Cette réalisation passe par le sens de la performance humaine, commerciale et économique. Je suis très attaché à la manière avec laquelle on construit un résultat plutôt qu’au résultat lui-même.
Quelle est votre définition de l’humilité ?
C’est de voir le réel tel qu’il est, d’avoir un regard lucide sur nous-mêmes, sur les clients, sur nos savoir-faire, sur ce que nous faisons de bien, sur les progrès qu’il nous reste à faire. L’humilité met l’entreprise en progrès, impulse les avancées.
Que signifie Adeo ?
Avant, nous nous appelions Leroy Merlin Groupe. Mais pour des entreprises du même groupe (comme Aki, Bricoman, Bricocenter, Kbane, Dompro, Zodio ou Weldom), il devenait difficile de s’identifier. Adeo – qui signifie “je vais vers”, “je suis en mouvement” en latin – nous donne des raisons d’être ensemble et de développer des valeurs communes forgées sur les singularités de chacun. Leroy Merlin Chine, Russie ou Brésil ont les mêmes valeurs, mais avec des traductions différentes selon les cultures chinoise, slave ou latine. Notre vocation première à tous, c’est la volonté d’aider les habitants du monde à réaliser la maison de leurs rêves.
Pensez-vous qu’un bac +2, comme c’est votre cas, soit suffisant pour évoluer aujourd’hui ?
C’est plus dur aujourd’hui. Plus la formation préalable est de qualité, plus c’est un atout. Je pense qu’avec le recul, j’aurais moi-même pu faire mieux en termes d’études. Mais dans ce type d’entreprise, ce qui est important c’est avoir la passion de ce que l’on fait, pour qui on le fait, avec qui on le fait.
Vous dites aller visiter vous-même des clients…
Ici tout le monde le fait ! C’est une pratique très généralisée dans les entreprises de Groupe Adeo. Les clients sont choisis d’après nos bases de données et sont en général assez surpris de la démarche. Mais pour eux, c’est un acte de reconnaissance et de proximité. Ils racontent leur parcours, leurs expériences en magasin à nos équipes pour lesquelles ces échanges sont très puissants et ont du sens.
Comment l’homme peut-il prendre sa place dans un groupe qui n’est plus à taille humaine ?
Un journaliste a comparé notre groupe à un paquebot à diriger. Je lui ai répondu qu’il s’agit plutôt d’une flottille de 500 bateaux qui ont tous le même cap, mais qui choisissent chacun leur route pour s’y rendre. Les 500 directeurs de magasin sont les personnes les plus importantes du groupe. Ils forment une fédération de 500 PME qui réalisent quand même plus de 14 milliards de chiffre d’affaires.
Quelle autonomie ont ces directeurs de magasin ?
Ils en ont beaucoup ! Ce sont eux qui donnent du sens à leur entreprise, qui savent ce qui est important, ce qui est utile et ce qui fait progresser. Le directeur de Leroy Merlin de Novossibirsk connaît mieux que moi les attentes de ses clients et de ses équipes !
Qu’est-ce qui arrive en premier : le client ou le collaborateur ?
Ce sont d’abord les équipes, puis les clients et ensuite les actionnaires. La performance d’un magasin vient de ses hommes, d’une équipe professionnelle et heureuse, qui progresse et qui a de la reconnaissance. La qualité de ces équipes conditionne la qualité du service des clients… et des actionnaires !
Peut-on devenir directeur de magasin autrement que par promotion interne ?
Nous avons 70% de promotions internes. Chaque collaborateur doit penser que tout est possible pour lui.
Y-a-t-il des profils atypiques ?
Un chef d’entreprise a toujours un profil atypique. Il faut avoir de la passion et savoir prendre des risques. C’est le cas de nos chefs de magasin.
Vous avez une passion pour la discipline militaire : est-ce votre mode de management ?
Le rôle d’un chef d’entreprise n’est pas de mettre de l’ordre mais du mouvement, en organisant des espaces de liberté qui permettent à chacun d’exprimer sa créativité. Je pense que la responsabilisation valorise les personnes et impulse les performances.
Qu’est-ce qui fait la différence avec vos concurrents ?
J’ai la conviction très forte que la performance vient des personnes. C’est donc les comportements qui font la différence, qui sont les mêmes partout ailleurs. La qualité des conseils et l’engagement de nos conseillers sont notre avantage stratégique.
Quelle est la place des fournisseurs ?
Ils sont nos partenaires. Ils participent à la construction collaborative des évolutions de nos clients.
Quelles sont les valeurs d’Adeo ?
Le respect de l’autre, la simplicité, la proximité, la générosité, l’honnêteté, la cohérence et l’esprit de performance. La valeur des valeurs, à mes yeux, est le respect de l’autre.
Vous parlez aussi de partage, d’avoir et de pouvoir. Mais jusqu’où partagez-vous ?
Le partage du savoir est l’une des missions essentielles de l’entreprise à travers la formation. On ne peut pas toujours demander plus si on n’a pas le savoir pour avancer. Nous avons des budgets de formation très importants en France. L’émergence des bonnes idées par les équipes les rend responsables et plus engagées dans le changement qu’elles s’approprient plus facilement : c’est notre vision du pouvoir. Le vouloir, c’est le fait d’associer le plus de personnes possibles aux décisions stratégiques. Quant à l’avoir, c’est la marque de progrès de l’entreprise : elle est partagée avec les équipes. L’actionnariat salarié représente 40 000 personnes.
Ce système d’intéressement n’est-il pas un frein au renouvellement des équipes ?
Notre but est de fidéliser nos équipes, nos politiques de partage en sont un des moyens.
Quel est votre commentaire sur le palmarès exemplaire de Leroy Merlin au classement Best Place to Work ?
Ce classement est établi sur 180 critères évalués de façon aléatoire par le personnel : le bien-être, les dirigeants, la cohérence, etc. Leroy Merlin est très bien classé depuis six ans de suite, mais il ne faut pas pour autant nous reposer sur nos lauriers. C’est un domaine où nous n’avons jamais fini et où la perfection n’existe pas.
Adeo est-il un groupe homogène ?
Au contraire, il est hétérogène. Il rassemble des entreprises aussi différentes que Leroy Merlin France (20 000 personnes) et Kbane (95 personnes sur trois magasins dans la région, avec un métier d’installateur, très différent des autres enseignes du groupe), par exemple. Mais ils portent tous nos valeurs communes. Notre grand challenge est d’essayer de les faire vivre dans toutes les enseignes, partout dans le monde, même si elles ont des traductions différentes. Nous constatons par exemple, que le besoin de reconnaissance est universel. Pourtant, nos métiers sont très contraignants. C’est donc d’autant plus remarquable que ces valeurs soient aussi bien partagées. Je suis directeur général de Groupe Adeo depuis 20 ans et je peux témoigner que la construction de la confiance entre une entreprise et ses équipes se fait goutte à goutte mais qu’elle s’en va par litre quand le processus se grippe. Il faut donc rester très vigilants.
Après vos credo “La maison durable”, et “l’univers de la maison”, quel sera le prochain ?
Du point de vue du client,la maison durable est celle qui le rend heureux. Et pour Adeo, c’est d’inciter l’émergence de nouvelles entreprises.
Que signifie l’appellation “Campus de l’habitat” pour votre nouveau site de Ronchin ?
Il y aura un nouveau nom dans quelques semaines. L’idée est d’en faire un lieu d’échanges, de partage et de transmissions des savoirs pour nos équipes, nos clients, nos fournisseurs, les artisans, les étudiants…