Création d'un fonds de première urgence pour les TPE/TPI

Chacun connaît le «lobbying actif» du président du tribunal de commerce de Lille Métropole pour faire connaître la cellule détection-prévention des entreprises en difficulté de sa juridiction. Lobbying «payant», puisqu'il a pu annoncer, lors de l'audience solennelle de rentrée du 7 janvier 2017, la naissance, officielle en avril, d'un fonds SAMU, ou de premier secours d'urgence, ouvert aux TPE/TPI de moins de 25 salariés qui traversent un trou d'air momentané. «Une part décisive dans le sauvetage d'entreprises».

Avec 65 juges, la juridiction de Lille est l'une des plus importantes de France.
Avec 65 juges, la juridiction de Lille est l'une des plus importantes de France.

 

D.R.

Thierry Pocquet du Haut-Jussé, procureur de la République, entouré (à sa droite) d'Anne Bilhou Nabera, procureur de la République adjoint, de Michaël Bonnet, premier vice-procureur, (à sa gauche) de Christophe Delattre, vice-procureur, et de Nathalie Leduc, substitut, ces trois derniers composant la section du droit des affaires et de l'entreprise, l'une des sept sections du parquet de Lille, entièrement renouvelée ces derniers mois.

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Le président Eric Feldmann a accueilli ses invités avec, à sa gauche, Guy Wallaert, Gérard Meauxsoone et Thierry Tabardel, présidents de section.

 

C’est un tribunal de commerce à la fois largement renouvelé et reconduit dans ses fonctions, puisque, sur les 65 juges consulaires de la juridiction Lille Métropole, pas moins de 43 membres sortants ont été reconduits pour un mandat de quatre ans et que 7 nouveaux membres* ont été élus pour un mandat de deux ans. Et c’est au sein du tribunal de grande instance à Lille, le 7 janvier 2016, qu’ils ont fait leur rentrée au cours d’une audience solennelle toujours particulièrement suivie, notamment par les plus hautes autorités de la grande région et de son ressort géographique.

Premier et traditionnel intervenant de cette audience solennelle, Thierry Pocquet du Haut-Jussé, procureur de la République, accompagné d’Anne Bilhou Nabera, procureur de la République adjoint, et des membres de la section du droit des affaires et de l’entreprise, Michaël Bonnet, premier vice-procureur, de Christophe Delattre, vice-procureur, et de Nathalie Leduc, substitut, section qui relève de la division des contentieux spécialisés, a dans ses réquisitions salué le président Eric Feldmann pour sa réélection à la présidence du Tribunal et pour son «investissement sans faille dans (sa) mission». Et, par-delà son président, un Tribunal de commerce qui «n’a eu de cesse de parfaire son fonctionnement et son organisation dans le but constant de proposer une justice commerciale plus humaine, donnant toute sa place à la conciliation et à la prévention, plus professionnelle et plus accessible aux enjeux de la vie économique et de l’emploi».

Pour évoquer l’action du législateur «qui s’est montré très prolixe ces derniers temps sur la justice commerciale», il a rappelé la loi du 6 août 2015, dite loi Macron, qui a créé 18 tribunaux de commerce spécialisés, dont Lille Métropole qui couvre l’ensemble des Hauts-de-France, autrement dit les cours d’appel de Douai et d’Amiens et le premier dossier traité à Lille, MS Mode (528 salariés), pour lequel il a entériné en fin d’année un plan de cession sur une partie de l’activité. Il a aussi évoqué la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle qui vise notamment à rapprocher les statuts et obligations des juges consulaires et des magistrats professionnels, ainsi que la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2, qui impose entre autres aux entreprises importantes de mettre en place un programme de prévention de la corruption.

Il a salué le «dialogue au quotidien» entre le Parquet et le Tribunal, qui vont au-delà de sa présence aux audiences de procédures collectives et de sanctions grâce à l’instauration d’une permanence commerciale, au comité de pilotage trimestriel, aux échanges via une messagerie structurelle, à la communication dématérialisée des notifications et à un espace électronique partagé. De quoi contribuer «à la qualité et à la sécurité juridique des décisions rendues».

2016 : «une éclaircie». En réponse aux réquisitions du procureur, Eric Feldmann a, pour commenter l’activité du tribunal de commerce de Lille Métropole, concentré son intervention sur le traitement des difficultés des entreprises et les procédures collectives. Et là, bonne nouvelle pour cet «excellent observatoire de l’activité économique de notre région et au-delà même de notre pays», «l’année 2016 marque incontestablement un tournant important depuis que le TCJM existe, car il y a bien une décrue des ouvertures de procédures de sauvegarde, redressement judiciaire, liquidation judiciaire», avec 2 445 salariés concernés au 31 décembre 2016 contre 3 044 au 31 décembre 2015, soit une diminution de 19,68%. A périmètre comparable, on peut parler “d’éclaircie dans les cieux chargés de ces trois dernières années». Le bémol, «toujours d’actualité», c’est le pourcentage 70/30, ces 70% d’entreprises qui bénéficient d’une sauvegarde ou d’un redressement judiciaire se terminant malheureusement par une liquidation judiciaire. Pour «contrecarrer cette proportion maléfique», Eric Feldmann ne voit qu’un «seul et efficace moyen : l’anticipation et donc la prévention des difficultés des entreprises», moyen qui, à Lille Métropole, a permis d’ouvrir 16 mandats ad hoc et 17 conciliations, concernant 12 759 emplois, «un ratio de 1 à 5» par rapport aux 2 445 salariés concernés par les procédures collectives, et de voir le nombre de demandes d’entretiens spontanés, en toute confidentialité, auprès de la cellule détection-prévention passer de 85 à fin 2015 à 95 à fin 2016,

Fonds de première aide d’urgence dès avril. En saluant tous les acteurs économiques qui l’ont aidé dans son lobbying actif à faire connaître la pertinence des mesures de détection-prévention, Eric Feldmann a particulièrement mis en exergue l’aide apportée par le Conseil régional qui s’est concrétisée dans des actions avec la Bpi régionale et le Fonds régional de garantie et se concrétisera plus encore avec le fonds SAMU, un fonds de premier secours qui verra officiellement le jour en avril 2017. «Ce fonds de première aide d’urgence, qui sera éligible aux entreprises (TPE/TPI) de moins de 25 salariés, permettra, sur initiative des présidents de tribunaux de commerce, dans le cadre de la prévention et de l’ouverture de mandat ad hoc ou de conciliation, aux mandataires nommés de saisir le Conseil régional pour débloquer d’urgence des fonds de 5 à 50 K€ sous forme d’avances remboursables avec une période neutralisée de 6 mois et remboursable sur 36 mois (…). Ce fonds pourra être accessible à tous les tribunaux de commerce des ressorts de la cour d’appel de Douai et d’Amiens», a-t-il indiqué en précisant que la cérémonie de signature devrait avoir lieu à Amiens dans un esprit “œcuménique”. «C’est la première fois que ce type de concours est accordé», s’est-il félicité avant de faire allusion au projet de la commissaire européenne à la justice Véra Jourova de doter l’Union européenne d’un chapitre 11 à l’américaine, au travers d’une directive sur l’insolvabilité et la restructuration, sur le constat que «l’absence du dispositif de restructuration de la dette, dès l’apparition des difficultés, conduit beaucoup d’entreprises viables à disparaître».

Ce dispositif prévoit le développement et la généralisation d’outils d’alerte pour aider à repérer en amont les risques de dérapage, et de cadres flexibles de restructuration flexible pour simplifier les procédures judiciaires, ainsi qu’une possible libération pour les entrepreneurs en échec de leurs dettes après un délai maximal de trois ans. Et de se réjouir : «L’état d’esprit évolue et le droit à l’échec et au rebond est enfin pris en compte.» Enfin, sur l’activité en termes de contentieux général, qui concerne 30 des 65 juges du TCLM, avec notamment la compétence particulière du droit de la concurrence, le président Eric Feldmann a noté les gros efforts du tribunal pour inscrire son action dans l’esprit MARD (mode amiable de résolution des différends). Pour preuve, les plus de 100 affaires, soit près de 8% de toute l’activité contentieuse, confiées en 2016 aux 7 juges honoraires conciliateurs.

Profitant des «circonstances quinquennales», Eric Feldmann n’a pas manqué de soumettre aux hautes autorités, notamment politiques, présentes «quelques perspectives, quelques pistes de réflexion et clairement quelques suggestions bien concrètes pour contribuer à améliorer notre quotidien de juge consulaire». On en retiendra qu’un an après avoir évoqué une année 2015 «tourmentée», marquée par l’inquiétude, l’incompréhension et un vif agacement chez les juges consulaires, 2016 a été celle du garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas, venu lors du congrès national de Marseille «nous témoigner de toute sa reconnaissance et sa confiance envers la justice commerciale de notre pays : son message était empreint de sérénité et d’apaisement et nous en avions besoin…». Sur «l’opulence législative” (loi Macron, nouveau droit des obligations, loi Justice du XXIe siècle…), il a plaidé pour «prendre le temps maintenant de les mettre en application, bref de les digérer», sans pour autant renoncer à suggérer des réformes telles que la révision de l’inéligibilité à vie de tout juge ayant fait l’objet d’une procédure de redressement ou liquidation judiciaire non suivie d’une sanction, la mise en place d’un budget aux fins de formation tant initiale que continue des juges consulaires, ou encore la création de plates-formes digitalisées «afin de permettre, lors des liquidations judiciaires prononcées, de ne pas laisser s’évaporer des concepts d’entreprises, en particulier de start-up, et de les faire reprendre dans le cadre d’autres structures», jusqu’à la réintégration des baux commerciaux dont les tribunaux de commerce ont été dessaisis en 2005. «La politique doit être au soutien de l’économie et non l’inverse», a rappelé Eric Feldmann, l’appelant à «maintenant favoriser le financement de l’économie (…) pour soutenir à la fois la nouvelle économie, mais aussi la réindustrialisation de notre pays». 

 

* Philippe Dhénin, Michel Faroux, Alain Mariage,Bruno Pilette, Peter Willem Van Vliet, Stéphanie Bolze et Rémy Bureau.