Convention d'Istanbul : des associations féministes appellent à protéger cette "fabuleuse boîte à outils"

Dix ans après l'entrée en vigueur de la Convention d'Istanbul, traité du Conseil de l'Europe luttant contre les violences faites aux femmes, des associations féministes appellent à protéger cette "fabuleuse boîte à outils"...

Manifestation contre les violences faites aux femmes, le 20 novembre 2021, à Paris © Alain JOCARD
Manifestation contre les violences faites aux femmes, le 20 novembre 2021, à Paris © Alain JOCARD

Dix ans après l'entrée en vigueur de la Convention d'Istanbul, traité du Conseil de l'Europe luttant contre les violences faites aux femmes, des associations féministes appellent à protéger cette "fabuleuse boîte à outils" prise pour cible par l'extrême droite. 

"C'est un texte qui reste fondateur, de référence, le premier traité international juridiquement contraignant spécifiquement dédié à la lutte contre les violences faites aux femmes", résume Camille Butin, conseillère en plaidoyer pour le réseau européen de la Fédération internationale pour le planning familial.

"Mais on note qu'il est encore loin d'être mis en œuvre partout de la même manière", que ce soit sur la question de la notion de consentement ou sur le volet prévention, ajoute-t-elle. "Il y a encore des efforts à faire de la part des Etats membres, c'est d'autant plus crucial vu le contexte actuel avec les attaques et les menaces contre les défenseurs des droits des femmes dans certains pays". 

Entrée en vigueur le 1er août 2014, la Convention d'Istanbul a été ratifiée à ce jour par une trentaine d'Etats membres du Conseil de l'Europe et par l'Union européenne. 

Elle oblige - sur le papier du moins - les gouvernements à adopter une législation réprimant la violence à l'égard des femmes, le harcèlement sexuel, les mutilations génitales féminines, le mariage forcé, et à prévoir des refuges pour les victimes de violences.

Dans le cadre de cette convention, plusieurs pays ont mis en place des unités de police spécialisées, revu la définition pénale du viol pour y intégrer la notion de consentement ou, à l'image de l'Espagne, élargi leur définition de féminicide dans les statistiques officielles. 

La Convention "est incroyable", estime Violaine Lucas, présidente de Choisir la cause des femmes, qui y voit une "source d'inspiration législative puissante". "Si vous voulez vraiment mener des politiques publiques féministes, vous avez avec la convention une fabuleuse boîte à outils".

Une boîte à outils dont la pérennité suscite toutefois l'inquiétude des associations féministes depuis le retrait fracassant de la Turquie en 2021 et les réguliers coups de boutoir assénés par l'extrême droite et la droite conservatrice en Europe contre le traité.

Cheval de Troie

"La convention a été instrumentalisée par un certain nombre d'Etats de l'UE", pointe Lucie Daniel, de l'ONG Equipop, autrice d'un rapport publié mi-mai "quand l'extrême droite avance, les droits des femmes reculent". "Elle a fait l'objet de campagnes de désinformation, elle a été présentée comme un cheval de Troie pour faire avancer une prétendue théorie du genre".

Six pays - la Bulgarie, la Hongrie, la Lettonie, la Lituanie, la République tchèque et la Slovaquie - ont refusé de ratifier la Convention, dénonçant son "approche idéologique".

"Ce qu'il y a de terrible c'est de se dire que tout le travail mis en oeuvre depuis dix ans en faveur des droits des femmes peut être démoli par un gouvernement d'extrême droite", s'alarme Violaine Lucas. 

"Il faut rester extrêmement vigilant", ajoute-t-elle, appelant les partis politiques progressistes à "prendre ouvertement et courageusement" la défense de la Convention d'Istanbul à l'approche des élections européennes qui se tiendront le 9 juin en France.

"Les eurodéputés d'extrême droite ne sont pas des alliés de la Convention, donc ses acquis pourraient être remis en cause si l'extrême droite devenait une force bloquante au sein des institutions européennes", abonde Lucie Daniel. 

Dans ce contexte, le pas de deux d'Emmanuel Macron - qui a refusé une harmonisation européenne de la définition du viol qui intégrerait la notion de consentement tout en ouvrant la porte à une redéfinition en France - a laissé un goût amer aux associations féministes, qui estiment qu'il a donné du grain à moudre aux mouvements réactionnaires.

Pour Camille Butin, si la récente directive européenne sur la lutte contre les violences faites aux femmes est une avancée non négligeable, il ne "faut rien lâcher" et continuer à "faire avancer les lois et les politiques".

"Il faut mettre réellement en oeuvre l'éducation à la vie sexuelle, il faut intensifier la formation des professionnels de santé, des forces de l'ordre, des magistrats et des professionnels de l'éducation et soutenir les associations féministes", insiste-t-elle. "C'est essentiel pour contrer l’influence des mouvements anti-genre et réactionnaires". 

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