"Concevoir autrement" pour mieux innover
"Concevoir autrement". Le ton du colloque organisé à Amiens par la Chambre de commerce et d’industrie Picardie ce 20 novembre était donné, avec une formule se voulant résolument novatrice, tant dans la forme que sur le fond.
Ce colloque national, initié dans le cadre de l’opération “2014, année de l’innovation avec les CCI” venait clôturer la seconde édition du Mois de l’invention et de la propriété intellectuelle organisé par la CCI Picardie. Pour illustrer le propos, il s’agissait pour la chambre de concevoir cette journée… autrement : 360 minutes et douze témoignages (de 20 minutes maximum par intervenant) de chefs d’entreprise tournés vers l’innovation et les applications de demain – par de nouvelles organisations, manières de penser l’industrie et les services, l’open innovation ou encore l’impression 3D -, dans un lieu atypique pour ce type de manifestation, le Cirque Jules- Verne d’Amiens. Avec en guest star Nao, un robot humanoïde de 58 centimètres conçu par Matthieu Derache, étudiant en 2e année de master Cloud Computing and Mobility à l’Institut supérieur des sciences et techniques (INSSET) de Saint-Quentin, et qui a pour vocation de devenir l’aide à domicile du futur, dans les domaines de la santé, de l’éducation et de la domotique. Jacky Lebrun, qui a ouvert cette journée avec Nao dans les bras, s’est dit « scotché par cette technologie ».
Aider pour innover
En matière d’innovation, la Picardie n’a pas à rougir de ses performances, et les acteurs du développement économique – dont les écoles et universités – ont compris l’enjeu de prendre ce virage technologique… Ce n’est donc pas un hasard si la région a accueilli un des cinq colloques nationaux “Autrement” voulus par CCI France pour mettre à l’honneur l’innovation. « Avec ces colloques, a expliqué Alain Khemili, responsable du département industrie, innovation et intelligence économique de CCI France, notre ambition est double, il s’agit d’inculquer la culture de l’innovation et la rendre accessible pour gagner de nouveaux marchés, et d’aider les entreprises à anticiper par le biais de nouveaux outils. L’innovation est souvent bridée, les CCI sont là, aux côtés des entrepreneurs, pour les encourager à passer à l’acte. » Des valeurs partagées par le Centre des jeunes dirigeants (CJD) qui dès sa création en 1938 « a placé l’économie au service de l’homme » comme l’a rappelé David Guillemetz, président du CJD d’Amiens (50 membres), qui a pour mots d’ordre la création de valeur et l’épanouissement des salariés et dirigeants. Ce n’est pas le fondateur et gérant de Téléric Éric Fekkar, le premier à entrer sur la piste, qui l’aurait contredit : « À mon sens, la CJD est un catalyseur de l’innovation, et pas seulement technologique, le mouvement a vocation d’aider les chefs d’entreprise à innover dans leur pratique quotidienne de dirigeant… » Et il parle en connaissance de cause, puisque les membres du CJD lui ont permis d’avancer et de faire progresser son activité. Pour Éric Fekkar, l’aventure a commencé il y a sept ans, lorsque l’idée lui vient de créer un service de pointage mobile, pour les salariés itinérants. « J’ai cherché un an, j’ai trouvé trois solutions : une pas terrible et deux autres pourries, se rappelle-t-il en souriant. La première qualité du chef d’entreprise, c’est la chance, il faut savoir la saisir… » Ce que fait cet ancien ingénieur, faisant de son patron son premier client, « ce fut l’époque des temps héroïques, je travaillais à domicile, j’ai embauché un technicien en informatique, nous nous démenions, mais perdions de vue le perfectionnement du produit, une erreur de débutant, nous avons conçu un Concorde, je devais investir dans le développement commercial ».
Au fil du temps et des embauches (une commerciale rejoint l’équipe en 2010) les boîtiers s’améliorent et deviennent plus esthétiques (entendre petits) et performants avec GPS et alertes intégrés en cas de problèmes -, les patrons sont alertés en temps réel, de 20 boîtiers vendus pour la première version, Éric Fekkar passe à 450 (seconde version) et à 4 000 pour la troisième génération. Le dirigeant a eu entre temps la bonne idée de développer des produits annexes. Et le CJD dans tout ça ? « Il m’a permis de franchir un palier, étant ultra-perfectionniste, je voulais tout faire par moi-même, les membres du CJD m’ont conseillé de lâcher les rênes et me recentrer sur mon métier de chef d’entreprise, j’ai donc suivi une formation portant sur le développement personnel, qui m’a appris à orchestrer, et déléguer », raconte-t-il. Résultat : un chiffre d’affaires qui affiche une progression de 30 à 40 % depuis quatre ans, d’autres embauches et prochainement de nouveaux locaux sur Amiens, avec un objectif : au minimum doubler l’activité d’ici trois ans. « Il ne faut pas rester seul », a conclu Éric Fekkar, illustrant avec son expérience la nécessité de – bien – s’entourer pour avancer, dans tous les domaines, l’innovation n’échappant pas à la règle.
Comment sortir de la Vallée de la mort…
Cyrille Chapon est le directeur Transfert d’Ouest valorisation, Société d’accélération du transfert de technologies (SATT) basée en Bretagne et créée en 2010 dans le cadre des Investissements d’avenir. Sa mission : assurer la valorisation des résultats de la recherche publique, elle dispose pour ce faire d’une dotation de 70 millions d’euros pour investi dans des projets de R & D. Premier point soulevé par Cyrille Chapon : « La recherche a un rôle majeur à jouer dans la compétitivité, notre vocation est de transférer les résultats de ces travaux vers le monde socio-économique. »
Pas une si mince affaire… Si les projets restent coincés dans cette fameuse Vallée de la mort, il y a peu de chances qu’ils se concrétisent avec comme conséquences « une perte de créativité pour la société ». « Il y a toujours une période de latence, poursuit le directeur Transfert, où les chercheurs estiment que leur travail est terminé, et où les entreprises pensent que ce n’est pas encore leur tour d’entrer en scène et de prendre le relais. » Une difficile équation dont la solution incombe à Ouest valorisation, qui doit réussir à transférer le dit projet pour qu’il soit applicable. « Nous devons alors créer un pont, pour faire collaborer recherche et entreprise, tout l’enjeu étant de démontrer aux deux parties l’intérêt de bâtir ce pont, note Cyrille Chapon. C’est la phase de maturation : les projets sont constitués de l’ADN du privé et du public, une question d’hybridation et un bon moyen d’éviter que la seule recherche publique finance l’ensemble du pont… » Si en théorie le processus semble relativement simple, il n’en est rien dans la réalité : la SATT doit prouver la pertinence et la viabilité du concept au client, diminuer la prise de risque de ce dernier et mettre en avant la valeur du projet pour lui donner envie de se lancer, or « en France, on a tendance à regarder le risque en premier, et le risque inhibe ». D’où l’importance de la co-maturation, gage d’une prise de risque partagée pour que les projets se concrétisent.