Commerce : la dévitalisation des villes se poursuit
Le taux de vacance commerciale, qui mesure la proportion de vitrines abandonnées dans les centres villes, n’a jamais autant progressé qu’en 2015. Il atteint aujourd’hui 9,5%, bien davantage dans les villes de moins de 100 000 habitants.
Les villes françaises meurent à petit feu. Les magasins ferment, les rues se vident, la population décline. Et au même moment, à 5 kilomètres de là, on inaugure avec emphase une nouvelle zone commerciale, plus resplendissante que la précédente. Il ne s’agit pas seulement du constat désabusé d’un promeneur esseulé dans la torpeur de l’été. Les chiffres confirment la désaffection commerciale. Chaque année, Procos, une fédération qui regroupe 260 enseignes du commerce spécialisé, de l’alimentaire à la beauté en passant par l’habillement ou la restauration, diffuse une estimation du “taux de vacance commerciale” dans les centres de 200 agglomérations de plus de 25 000 habitants. La méthode est précise. Dans chaque ville, depuis 2001, plutôt à la belle saison mais pas au mois d’août, les chargés de mission mandatés par Procos relèvent, dans un périmètre défini, la situation des locaux commerciaux, ouverts ou fermés pour une durée indéterminée. L’étude dévoilée en juin dernier, portant sur l’année 2015, montre un nouvel accroissement de la vacance commerciale. Celle-ci s’élève à 9,5% en moyenne, en progression d’un point par rapport à 2014. C’est la plus forte hausse enregistrée en un an, depuis le début des recensements effectués par Procos. Habituellement, la progression atteint plutôt 0,7 ou 0,8 point. Près de 10% de vitrines vides, cela peut sembler minime, résorbable. Mais en réalité, c’est énorme. Une seule vitrine désaffectée au milieu d’une rue commerçante suffit à modifier l’ambiance. En outre, le périmètre défini par la Fédération des enseignes, dans chaque ville, est limité à l’hyper-centre, aux quelques rues commerçantes où les grandes enseignes acceptent de s’installer. Autrement dit, les boutiques abandonnées situées en-dehors de cette enceinte ne sont pas comptabilisées dans le calcul de la vacance commerciale. Cela explique une différence importante entre la perception du passant et les chiffres de Procos. Ainsi, par exemple, à Saint-Etienne, sinistrée par diverses crises, le taux de vacance n’atteint que 7% dans les rues les plus commerçantes, alors qu’une grande partie des magasins, dans le centre élargi, sont fermés.
Les métropoles épargnées. Toutes les villes ne sont pas touchées de la même manière. Les sous-préfectures ou préfectures de petits départements, telles Marmande (Lot-et-Garonne), Dreux (Eure-et-Loir), Sedan (Ardennes) ou Moulins, peinent le plus. La vacance commerciale atteint ainsi 11,3% dans les villes de 50 000 à 100 000 habitants et 11,1% dans celles qui comptent entre 25 000 et 50 000 habitants. C’est également dans ces petites et moyennes villes que la dégradation a été la plus forte en un an : +1,8 point dans la première catégorie et +1 point dans la catégorie suivante. Les préfectures des grands départements (Nancy, Arras, Saint-Etienne), ainsi que les anciennes capitales régionales (Poitiers, Besançon, Clermont-Ferrand), sont à peine moins concernées. Le taux de vacance s’élève en moyenne à 9,2% dans les villes de 100 000 à 250 000 habitants et à 7,5% dans celles qui ont jusqu’à 500 000 habitants. Les métropoles, enfin, sont les plus préservées, avec un taux de vacance de 6,3%, stable par rapport à 2014. Encore faut-il distinguer les villes prospères, Strasbourg, Bordeaux, Lyon, de celles qui connaissent des difficultés, comme Lille ou Dijon. A Marseille, exception parmi les grandes villes, le commerce est particulièrement sinistré. Sur la carte de la vacance commerciale publiée par Procos, l’Hexagone est donc constellé de gros points bleus, les métropoles en bonne santé, et de petits points rouges, les petites villes en déshérence. Aucune région n’est épargnée. La crise urbaine touche indistinctement les territoires très urbanisés comme le Nord ou la vallée du Rhône et les zones majoritairement rurales, tel le Massif central ou l’ouest de la Lorraine. Elle frappe les villes où le taux de chômage est faible (Vitré, Ille-et-Vilaine ou Haguenau, Bas-Rhin) comme celles où il est élevé (Carcassonne, Saint- Nazaire, Loire-Atlantique, ou Douai, Nord). Les taux de vacance les plus élevés, qui atteignent ou dépassent les 25%, sont enregistrés à Calais (Pas-de-Calais), Nevers, Vierzon (Cher) ou Béziers (Hérault).
Toujours plus de grandes surfaces. En observant la carte en détail, trois types de localités semblent échapper au triste sort des villes de France. Outre les métropoles, la crise urbaine ménage les cités touristiques, telles Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), La Rochelle, Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) ou Menton (Alpes-Maritimes). Elle touche également avec une intensité moindre les villes relativement éloignées des grands centres, comme Périgueux, Laval ou Cahors. La troisième catégorie plutôt épargnée est constituée des proches banlieues des grandes villes, en Ile-de-France (Vincennes, Saint-Denis, Clichy) ou près de Lyon (Villeurbanne). Cette situation désastreuse inquiète localement les commerçants, les maires et les habitants. Mais elle fait rarement la “une” des journaux nationaux, ne semble pas préoccuper au plus haut sommet de l’Etat, et n’est pas évoquée par les différents candidats à la primaire. Lorsque la crise urbaine est évoquée, elle est généralement confondue avec la désertification des territoires ruraux ou la montée en puissance des métropoles. Or, souligne Procos, c’est bien à une mutation du commerce, concomitante à celle de la société, à laquelle nous assistons. “En France, le parc de magasins atteint son apogée dans les années 1920, avec près de 1,5 million de boutiques. Puis, le déclin s’amorce. En moins d’un siècle, la France perd près de la moitié de ses commerces (elle en compte environ 850 000 aujourd’hui), alors que sa population croît dans le même temps de 50%”, indique la Fédération des enseignes. L’exode rural, puis “le développement, à partir des années 1950-1960 des hypermarchés, supermarchés et moyennes surfaces spécialisées, accélèrent ensuite le phénomène”, poursuit Procos. Toutefois, “plus récemment, la vacance commerciale semble résulter d’une crise de surproduction des surfaces de vente”. Ainsi, depuis le début du siècle, “le parc de surfaces commerciales croît à un rythme plus rapide, 3% par an, que celui de la consommation, 1,5 % par an”. La dévitalisation des villes est donc à mettre en relation avec la prolifération des hypermarchés, et son corollaire, l’urbanisme commercial, qui répartit le territoire en zones vouées aux achats, à l’emploi, à la logistique ou aux loisirs. “La vacance témoigne des difficultés du commerce à se maintenir dans un parc toujours plus étendu et toujours moins profitable”, observe Procos.
Olivier RAZEMON