Comment remplacer la moitié des agriculteurs partant à la retraite ?
Le remplacement des agriculteurs qui partent à la retraite fait partie des multiples défis à relever, vitaux pour le secteur. Au Salon international de l'agriculture, la Fédération nationale des Safer a consacré un débat à ce sujet où l'accès au foncier représente un enjeu majeur.
D'ici une dizaine d'année, plus de la moitié des agriculteurs vont partir à la retraite en France. Comment assurer l'indispensable relève ? Ce 28 février, sur le Salon international de l'agriculture, à Paris, le groupe Safer, Fédération nationale des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, organisait un débat consacré à « Une nouvelle génération d’agriculteurs, entre préjugés et réalité, quelles sont les attentes ? » Le constat, en effet, est partagé par tous : les fils et filles d'agriculteurs ne suffiront pas pour remplacer leurs parents. Il est nécessaire d'attirer d'autres populations venues de l'extérieur du monde agricole. Celles-ci sont déjà – un peu - présentes, constate le groupe Safer dont les missions d'intérêt public consistent, notamment, à favoriser l'installation de jeunes agriculteurs et la transmission d'exploitations agricoles, et à s'assurer que les terres restent dans le domaine de l'agriculture.
En 2022, parmi les 37 400 candidatures traitées par le groupe Safer pour attribuer des terres en location ou en propriété, 1 520 concernaient des premières installations accompagnées. Et près de sept sur 10 d'entre elles se déroulaient hors du cadre familial. Mais il en faudrait bien davantage, selon Pierre Meyer, membre du conseil d'administration des Jeunes Agriculteurs, syndicat agricole qui se consacre à la cause des moins de 38 ans. « Comme dans les autres secteurs de l'économie, les reconversions représentent une tendance de fond dans l'agriculture. Nous devons pouvoir y répondre, attirer ces profils. Ils viennent déjà dans le maraîchage, mais nous en avons besoin aussi dans l'élevage ou dans les grandes cultures de céréales », analyse-t-il.
Mais l'installation des candidats venus d'ailleurs se heurte à plusieurs freins de nature diverse. Certains s'efforcent de les lever, comme Terre de liens, association militante qui achète des terres pour les confier ensuite à des porteurs de projets écologiquement vertueux (10 000 hectares et 350 fermes aujourd'hui). Selon Coline Sovran, chargée de plaidoyer chez Terre de liens, ces freins tiennent à une « inadéquation » entre les modalités de l'installation et de la transmission des terres, et les potentiels nouveaux venus. Ces derniers ne sont pas forcément issus du milieu agricole et leurs projets sont bien spécifiques. Par exemple, « les fermes ont beaucoup évolué. Elles sont plus grandes, plus mécanisées et cela ne correspond pas nécessairement aux aspirations des nouveaux arrivants. Un tiers d'entre eux souhaitent s'installer en bio ou en circuit court », illustre Coline Sovran.
Parmi les autres difficultés figurent des dispositifs administratifs inadaptés : la DJA, Dotation jeunes agriculteurs, aide à la trésorerie destinée à ceux qui s'installent, est réservée aux moins de 40 ans, un seuil problématique pour des profils en reconversion. Et aussi, dans l'accès à la terre, les nouveaux venus se heurtent à la concurrence avec les agriculteurs déjà implantés qui souhaitent agrandir leurs exploitations, ainsi qu'à des frais d'installation trop élevés pour eux.
Vive le fermage, mais avec quels propriétaires ?
Selon un consensus apparent, le fermage apparaît comme la meilleure des solutions pour démarrer une exploitation agricole, d'après les différents intervenants au débat. « Être propriétaire foncier n'est pas une fin en soi. C'est de l'outil de production que l'agriculteur doit être propriétaire, du moins en majorité. Investir dans le foncier est une question de patrimoine qui peut venir dans un second temps », estime Pierre Meyer. Bruno Keller, président de la Fédération nationale de la propriété privée rurale qui représente 4 millions de propriétaires agricoles et ruraux, va dans le même sens : il met en garde contre l'achat immédiat des terres. Par exemple, dans certaines zones géographiques, pour une ferme d'élevage de 150 hectares, « le nouvel agriculteur n'a pas encore même acheté un tracteur qu'il se prend déjà 500 000 euros d'endettement sur la tête, c'est suicidaire », illustre-t-il. En réalité, pour l'exploitant, le véritable enjeu réside dans la « sécurisation » du foncier, pointe Pierre Meyer. Et précisément, « le statut du fermage est protecteur, il permet de rester serein ». Mais la formule du fermage présente aussi d'autres avantages, soulignés par Coline Sovran : cette solution est adaptée aux besoins des nouveaux venus qui n'ont pas nécessairement envie de devenir propriétaires et qui pourront « sortir du métier quand ils le jugeront opportun ».
Reste à savoir qui doit posséder les terres mises en fermage. Sur ce sujet, des modèles très différents cohabitent. L'association Terre de liens s'est mise au service de la transition agro-écologique. Avec des modalités voisines – séparation de la propriété du foncier et de l'exploitation- d'autres structures se sont fixées des objectifs militants, à l'image de Terra Hominis , qui œuvre à l'installation ou au développement de vignerons responsables. Ou encore de la SCIC Ceinture Verte Pays de Béarn qui réunit plusieurs acteurs du territoire soucieux de faire grandir les circuits courts. Elle a permis l'installation de huit maraîchers. Néanmoins, « aujourd'hui, le premier intervenant sur le portage foncier, ce sont des propriétaires physiques individuels. Je pense qu’ il faut maintenir cela », explique Emmanuel Hyest, président de la FnSafer. Celle-ci attribue le quart des terres à des bailleurs qui les achètent pour les louer, et non pour les exploiter en direct.
Non au GFAI, Groupement foncier agricole d'investissement !
« la financiarisation du foncier agricole n'est même pas un sujet qui doit être débattu. Il doit être supprimé », tranche Emmanuel Hyest, président du groupe Safer. En cause : le GFAI, Groupement foncier agricole d'investissement, prévu dans le projet de loi d'orientation en faveur du renouvellement des générations en agriculture. Ce dispositif risque de favoriser gestionnaires de fonds et investisseurs financiers, induisant la mise en place de très grandes exploitations et provoquant la fragilisation des exploitants en place.