Collectivités : comparaisons et perspectives
Clarifier et comprendre. L’agence de notation française Public Evaluation System et l’Institut Thomas More ont publié un rapport qui s’intitule : «Vers quelle réforme des collectivités territoriales en France ?» afin de faire le point entre deux réformes, fussent-elles inachevées.
La réforme de 2010, présentée par certains comme l’Acte I de la recentralisation, a été adoptée par la loi du 16 décembre 2010, dite de “réforme des collectivités territoriales”. Cette réforme a pour objectif de réaliser des économies substantielles de gestion et de réduire le millefeuille territorial qui caractériserait la France (trop de niveaux d’administrations locales et de collectivités territoriales). Elle modifie tout d’abord les rapports entre les communes et les intercommunalités : elle facilite l’achèvement et la rationalisation de la carte intercommunale en obligeant chaque commune à adhérer à un établissement public de coopération intercommunale. Elle crée de nouvelles structures de coopération intercommunale, les métropoles et pôles métropolitains. Elle prévoit qu’en 2014 les délégués des communes au sein des conseils des différentes communautés (de communes, d’agglomération ou urbaines) seront élus au suffrage universel direct, en même temps que les conseillers municipaux. La loi veut également rationaliser les rapports entre les départements et les régions en créant un élu commun − le conseiller territorial − qui sera élu dans des cantons redessinés. Enfin, elle entend limiter les compétences des départements et des régions à celles que la loi leur attribuera, tout en permettant de mutualiser leurs services et de déléguer la gestion de ces compétences d’un niveau à l’autre. Ce n’est pas une révolution et la nouvelle majorité sénatoriale reste une sentinelle efficace.
L’échelon régional au centre des politiques publiques. L’Europe est par nature marquée par une très grande diversité des modèles d’organisations territoriales. Entre Etats fédéraux ou fortement régionalisés, Etats encore centralisés ou Etat d’Europe de l’Est à la consolidation démocratique reconnue, les situations sont souvent hétérogènes. Pourtant, certains principes sont désormais largement partagés (comme la subsidiarité, l’autonomie des collectivités, etc.) et inspirent les réformes engagées depuis 15 ans.
En voici une revue de détails. Dans toute l’Europe, l’échelon régional est incontournable. Encouragées par l’Union européenne, les régions sont devenues le cadre de référence pour la politique régionale européenne visant à promouvoir le développement de territoires compétitifs tout en maintenant une cohésion territoriale. L’Europe s’est dotée d’un Comité régional qui lui adresse régulièrement ses avis (quoique non contraignants). En France, la réforme constitutionnelle de 2003 et la loi organique de 2004 prévoyant de nouveaux transferts de compétences aux régions ont renforcé leur rôle moteur en matière de développement économique (avec l’élaboration, à titre expérimental, de schémas régionaux de développement économique, les SRDE), de formation secondaire, professionnelle, des adultes et de santé. Dotées de prérogatives plus importantes et structurant le territoire, les régions jouent également un rôle vis-à-vis des échelons infra-régionaux. Vient l’échelon local, entre légitimité démocratique et compétences techniques. On a beaucoup parlé en France de l’échec de la loi Marcellin de 1971 sur les fusions et regroupements de communes et, à l’inverse, de la réussite des fusions communales en Allemagne à la même époque. C’est que la légitimité et la cote de popularité de l’institution locale ne peuvent être tirées de la seule fourniture de services publics. La commune est plébiscitée dans tous les pays en tant qu’acteur de proximité et espace d’exercice démocratique. Il y a là une double légitimité à prendre en compte. L’échelon local est mieux protégé quand il exerce des fonctions régaliennes, comme c’est le cas en France et en Belgique, avec la fonction éminemment symbolique que représente la tenue de l’état civil. Les élus sont alors les témoins et les gardiens des moments charnières d’une vie humaine : naissance, mariage, décès. Etat civil donc, mais aussi finances locales, impôts et police sont des compétences exercées par peu de communes en Europe… A la distinction technique/politique, il faudrait donc ajouter une troisième composante de l’action et de l’identité municipales : le partage de fonctions régaliennes. Dans l’accomplissement de ces missions, on retrouve la France et la Belgique, mais aussi le Danemark et la Finlande.
Quid des compétences ? En matière d’action et de protection sociale, les prestations sont généralement fournies à l’échelon de proximité tandis que les régions sont chargées de fournir un schéma d’intervention, l’Etat gardant une prééminence sur le montant des minima, l’éligibilité aux prestations, etc. Sur le critère de la dépense, c’est en Allemagne et en Finlande que les échelons locaux – et fédéraux le cas échéant – dépensent le plus : respectivement 5 et 4,7% du PIB national. Au Royaume-Uni et en Belgique, la dépense en protection sociale des échelons fédéraux et locaux représente 3,6% du PIB, en France la dépense est de 1,7%. En matière de gestion de l’eau et des déchets, deux pays se singularisent : la France et l’Espagne ont développé des modèles d’implication très forte de l’échelon local dans la gestion de l’eau (impôts locaux pour financer ces services, fixation des tarifs, construction, gestion et entretien des infrastructures). En matière de santé, l’Etat réglemente, les régions gèrent les services structurants et les soins de proximité sont du ressort de l’échelon local. L’implication de ce dernier n’est pourtant pas systématique ni exclusive : comme en France, d’autres pays ont laissé le soin aux différents échelons de s’engager ou non dans la construction, l’entretien et la gestion d’hôpitaux, en fonction des bassins de population concernés. En matière d’éducation primaire, les travaux de l’OCDE permettent d’identifier plusieurs pratiques de la décentralisation en matière d’éducation : a minima comme en France et au Portugal qui impliquent peu leurs collectivités dans le financement de l’éducation, celles-ci n’intervenant pas dans la pédagogie. Côté police, la compétence est exercée par les communes de France ; on ne la retrouve que dans trois autres pays : l’Italie, la Belgique et l’Espagne.
L’échelon intermédiaire est-il substituable ? Beaucoup veulent aller plus loin dans la réflexion et dans l’action de réforme. Et posent la question : faut-il supprimer le département ? Sept pays en Europe disposent d’un échelon intermédiaire analogue –au moins dans la hiérarchie – au département français. Au Portugal, en Finlande et en Autriche, l’échelon intermédiaire − collectivité élue ou pas − a pour principale vocation d’être un support administratif pour l’action d’autres échelons : il les aide à organiser leur action. Dans la plupart des autres pays, l’échelon intermédiaire se trouve très souvent associé à un autre échelon dans l’exercice de certaines compétences : aide sociale (comme c’est le cas avec les communes en France). La question reste entière tant qu’on n’a pas trouvé mieux pour organiser les compétences et transmis les savoir-faire reconnus des départements. Autre problématique livrée par l’étude, la gouvernance de l’action publique. Celle-ci se trouve encouragée à s’appuyer sur des acteurs privés. L’apparition de nouvelles thématiques dans le champ de l’action publique (nouvelles technologies de l’information, environnement) a bouleversé, plus encore que le principe de subsidiarité, les modes d’action des collectivités. Il est de plus en plus malaisé d’agir seul sur une problématique donnée. En France, avec la loi Chevènement de 1999 instituant les communautés de communes, d’agglomération et urbaines, le regroupement intercommunal s’est singulièrement accéléré au point de recouvrir aujourd’hui près de 90% de la population et des communes. Ces EPCI ne sont toutefois pas des collectivités reconnues par la Constitution, ni des organes élus au suffrage universel direct. La question est clairement posée : les collectivités européennes ont-elles les moyens de leur autonomie ?
Autonomie financière. L’autonomie financière des collectivités consiste à disposer de ressources suffisantes et diversifiées dont elles peuvent librement déterminer le montant et/ou l’affectation. L’autonomie financière est indissociable des mécanismes de péréquation pour permettre aux collectivités les moins dotées d’assurer leurs missions. En France, la fiscalité locale représente la moitié environ des budgets locaux, contre moins de 30% en moyenne dans les Etats européens. Le poids de la fiscalité dans l’ensemble des ressources (hors emprunt) des collectivités locales françaises figure parmi les plus élevés (autour de 50% actuellement). La péréquation verticale vise à harmoniser les capacités financières de chacun des types d’échelon par rapport aux autres. En France, une dotation globale de fonctionnement (DGF) est attribuée aux communes, aux EPCI, aux départements et aux régions. Chaque échelon remplissant des compétences particulières, il semble toutefois difficile de comparer et d’harmoniser les capacités financières de chaque échelon par de simples dotations. L’indépendance et la fiscalité restant liées dans l’esprit des législateurs et des édiles locaux.