Chez les sapeurs pompiers, une lente féminisation des effectifs
"Si on monte en grade, on est à abattre": devenir et être acceptée en tant que sapeur pompier s'avère un combat quotidien pour les femmes, qui représentent seulement 20% des effectifs et...
"Si on monte en grade, on est à abattre": devenir et être acceptée en tant que sapeur pompier s'avère un combat quotidien pour les femmes, qui représentent seulement 20% des effectifs et sensiblement moins à des postes à responsabilité.
"Une femme est respectée tant qu'elle est en bas de l'échelle. Si on monte en grade, on est à abattre", révèle à l'AFP Lætitia Lecomte, adjudante au centre de secours des pompiers de Bagnères-de-Luchon (Haute-Garonne), à l'occasion du 129e congrès national des sapeurs pompiers à Toulouse.
"On est obligées d'avoir un fort caractère, sinon on ne survit pas", continue la sapeur pompier volontaire.
Fouillant sa mémoire, elle donne l'exemple récent, début août, d'un collègue homme qui a refusé de monter dans son véhicule d'intervention... parce qu'elle était au volant.
"C'est notre quotidien, notre normalité", souffle-t-elle, repensant à ses 17 années passées en casernes et centres de secours. "Les hommes n'ont pas le même stress d'exigence que peuvent ressentir les femmes".
Une exigence imposée par les hommes, mais aussi par les femmes elles-mêmes qui ne se sentent parfois pas assez légitimes pour accéder à des postes à responsabilité.
"On doit prouver nos compétences dix fois plus que les hommes pour être acceptées et respectées à un poste", estime la lieutenante Marlène Dulon, cheffe de centre de secours de Saint-Béat Marignac (Haute-Garonne), la première femme à occuper cette position dans ce centre.
Pas de vestiaire
Aujourd'hui, un sapeur-pompier sur cinq est une femme. Mais dans les postes à responsabilité, la proportion de femmes diminue drastiquement.
"A l’échelle nationale, il n'y a que trois femmes sur des postes de direction dans les directions départementales (SDIS, service départemental d'incendie et de secours, ndlr)", illustre la lieutenante-colonelle Isabelle Bérard, sapeur-pompier dans les Bouches-du-Rhône.
Les femmes ont été autorisées à devenir sapeur pompier grâce à un décret de 1976. Mais il faudra attendre 2016, 40 ans après l'intégration de la première femme dans une caserne, Françoise Mabille, pour que la féminisation du métier devienne une préoccupation des autorités.
Et attendre 2020 pour que les premières tenues d'intervention soient adaptées aux morphologies féminines.
"Je portais une tenue d'homme et des bottes de JSP (jeunes sapeurs pompiers, ndlr)", se rappelle Isabelle Bérard en souriant.
Le manque d'adaptation aux femmes est partout, dans les casernes. "Quand j'ai commencé il y a 20 ans, il n'y avait pas de vestiaires femmes, mes vestiaires étaient donc... les toilettes", se remémore de son côté Marlène Dulon. "On s'est construites seules, sans modèle", souligne la volontaire.
Depuis son arrivée au sein des pompiers en 1983, Isabelle Bérard a elle aussi "perdu des plumes" au fil des années: elle a parfois dû attendre "trois à quatre fois plus longtemps" qu'un homme pour accéder à certains postes.
Invisibilité
"Les femmes commencent à sortir de l’invisibilité seulement maintenant", estime la lieutenante-colonelle, également animatrice au sein du groupe de travail dédié à l'égalité de la Fédération nationale des sapeurs pompiers de France (FNSPF).
Pourtant, encore aujourd'hui, quand une femme accède à un poste, elle est "étiquetée": "On lui dit qu'elle est recrutée parce que c'est une femme, parce qu'elle répond à un quota", déplore Isabelle Bérard.
Une situation vécue aussi par Mme Dulon, à sa nomination en tant que cheffe de centre en janvier 2023: "J'ai reçu une vague de haine sur les réseaux sociaux", assure-t-elle.
Mais "la situation a bien évolué", dit-elle, pleine d'espoir. "J'aimerais être moteur pour les nouvelles générations".
C'est justement la lourde tâche du groupe de travail dédié à l'égalité du FNSPF, qui est parvenue à établir une feuille de route commune avec la sécurité civile pour une meilleure intégration des femmes.
"La feuille de route comporte cinq piliers", explique Schemseddin Hermi, référent national du FNSPF sur l'égalité: "accompagner les chefs", "le recrutement et tout l'aspect ressources humaines", "la formation (...) des cadres", "la communication interne et externe" et enfin "la lutte contre les discriminations".
L'idée n'est pas "d'établir une discrimination positive mais de rétablir une égalité professionnelle", renchérit Isabelle Bérard. "La performance vient du collectif et le collectif, c’est l’équité", insiste-t-elle.
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