Table ronde organisée par l’Association de journalistes PME
Ces nouveaux risques qui pèsent sur les entreprises
Pertes d'exploitation liées à la crise sanitaire ou aux mouvements populaires, cyber attaques, risques liés à la réglementation, aux catastrophes naturelles… Les PME sont exposées à des menaces multiples et variées. C’est ce qu’ont mis en avant les experts réunis pour la table ronde organisée par l’AJPME, association de journalistes PME, en décembre dernier «PME : quels (nouveaux) risques et quelle assurance aujourd’hui ?».
«L’assurance
est un sujet clé pour la protection et la survie de l’entreprise»,
assure Mathieu Montassier, directeur de Verlingue
Connect, courtier
en assurances spécialisé dans la protection des entreprises et PME.
Objectif : que le chef d’entreprise, qui a «des montagnes de sujets à traiter»,
soit «le
plus serein possible»,
l’assurance pouvant parfois faire partie «des
sujets qui l’empêchent de dormir»,
indique-t-il.
Jean-Noël
Gaine, qui a fondé en 2020 CréaWatt Group, une
entreprise d’une centaine de salariés basée à Montargis (Loiret)
qui conceptualise et fabrique des panneaux solaires innovants, fait
partie de ces dirigeants qui ont dû souffrir d’insomnies à cause
de ces questions d’assurance. Pendant trois ans, il a couru après.
Heureusement, après en avoir contacté 27, l’une d’entre elles
lui a répondu positivement. En décembre dernier, le chef
d’entreprise a signé avec Generali.
Outre le fait que ce soit «le
rôle des institutionnels d’accompagner la transition
énergétique»,
revendique
Régis Lemarchand,
membre du ComEx en charge du marché des entreprises chez Generali,
«techniquement
le projet de l’entreprise est extrêmement bien monté et
économiquement viable. C’est un gage de sérieux qui permet de se
projeter positivement».
Jusqu’alors, elle avait sept contrats différents pour assurer une
partie de l’assemblage, poussant ses investigations hors de
France : «On
travaillait avec des compagnies étrangères».
Malgré cela «nous
avions des ‘trous dans la raquette’ dans certaines couvertures
d’assurance».
Activités en mal d’assurances
En
cause, un manque de recul des assureurs sur les métiers innovants et
l’absence de code APE pour le métier d’installateur de panneaux
photovoltaïques. De fait, «Comment
demander à un assureur d’assurer un métier qui n’a pas de code
APE, ni d’antériorité»,
s’interroge le chef d’entreprise ? Et ce malgré les six
ETN (Étude de technique
nouvelle) qu’elle avait passées, cette certification délivrée
aux sociétés qui commercialisent des équipements d'intégration
photovoltaïque sur toitures.
«On
nous demandaient des choses qui n’étaient même pas réalisables
par des laboratoires de recherche»,
signale le chef d’entreprise. Le problème de l’innovation est
qu’ils demandaient «le plus
du plus» pour «avoir
des marges de sécurité».
Un préjudice qui a causé à l’entreprise un manque à gagner de
48 millions d’euros sur l’exercice 2023, qu’elle a dû décaler
sur 2024. «Pour réussir à
survivre, on commercialisait à l’étranger»,
explique ce dirigeant qui a néanmoins réalisé 20 millions d’euros
de chiffre d’affaires en 2023.
A
l’image de CréaWatt Group, certaines PME, selon leur secteur
d’activité, leur degré d’innovation ou leur emplacement,
peinent à se faire assurer. «Sur
une activité innovante, les petites industries ne trouvent pas
d’assureur», expose
Bernard
Cohen-Hadad, président de la
CPME Paris IDF et courtier en assurances, fondateur
de BCH assurances. «Il
y a des activités ciblées qui ont des difficultés, voire une
impossibilité de s’assurer»,
renchérit Mathieu Montassier. Et de citer, entre autres, les
activités du bois, de la scierie, du traitement de déchets, du
recyclage, du transport de voyageurs ou de marchandises ou de la
location longue durée. Pour le courtier en assurances, il y a sur
ces secteurs «un
désengagement» des
assurances qui peuvent, quand elles acceptent finalement d’assurer
l’activité, appliquer «de
fortes majorations».
Pourtant, «une entreprise peut
difficilement travailler sans assurances. C’est une exposition trop
forte», explique Régis
Lemarchand. Ce que confirme Jean-Noël Gaine, qui travaille notamment
avec l’Etat – l’entreprise équipe toutes les bases militaires
françaises – et de gros industriels comme des GMS ou l’Oréal.
«Nous devons être en mesure
de couvrir les pertes d’exploitation, en cas de sinistre».
Emeutes, climat et numérique
Autre
problème,
la perte d’assurance et
«le
risque de ne plus être assurable»,
explique Bernard Cohen-Hadad. «Il
y a des petites entreprises qui ne trouvent pas d’assurance, car
elles ont été victimes de manière trop régulière de sinistres».
Ou quand elles trouvent un assureur, «la
prime explose»,
affirme-t-il, prenant l’exemple d’une entreprise ayant eu quatre
fois sa vitrine brisée, l’assureur ne veut plus l’assurer car
«le
risque n’est plus rentable pour lui».
Les émeutes du printemps 2023, qui ont représenté au global 700
millions d’euros d’indemnisation, interrogent ainsi les
assureurs : «Est-ce
que les émeutes vont se reproduire tous les ans ? Est-ce c’est
un phénomène structurel que l’on doit intégrer dans les
statistiques pour mieux comprendre et tarifer le risque ?»,
questionne Régis Lemarchand. Indiquant que les assureurs s’assurent
pour un temps limité et sur une zone limitée, il explique que dans
le cas des émeutes, ils se sont retrouvés «sur
un temps long et dans tous les centres urbains de France».
Ils n’avaient auparavant «jamais
fait face à une telle sinistralité en France en termes d’émeutes,
grèves, attentats».
Le
risque
«climat»
pose lui aussi question. «Sur
les tempêtes, on sait qu’il va y avoir une intensification avec le
scénario de dégradation du climat. Ciaran, qui a eu lieu dans
l’Ouest de la France à l’automne dernier, est le premier épisode
d’une série qui va ne faire que s’accentuer»,
commente-t-il. Le coût pour le marché français ? Deux
milliards de sinistres. Néanmoins, les tarifs
des
assurances n’augmentent pas d’autant. «Si
les assureurs avaient dû répercuter le coût des remboursements
qu’ils ont payés
aux sinistrés, les primes auraient doublé ou quadruplé»,
explique Bernard Cohen-Hadad qui ajoute que les assurances font
néanmoins face à une difficulté de taille : «lorsque
l’on a six mois de grèves des retraites, avec des mouvements
sociaux, des dégradations de vitrines et des incendies
d’établissements, la sinistralité dépasse le rapport de la
prime».
Autre
nouveau
risque
clé, le risque cyber, qui monte en force à l’approche des JO
2024. L’agence nationale de la sécurité des systèmes
d'information (ANSSI) annonce
«une
vraie hausse».
«Cela
va être un défi sur le plan de la sécurité numérique avec un
nombre d’attaques qui va être relativement fort et des PME qui
vont être ciblées»,
explique Bernard Cohen-Hadad. Pour lui, le risque vient
principalement d’une erreur humaine de la part d’un fournisseur,
d’un collaborateur ou d’un client. Il avertit que l’«on
ne peut pas penser l’entreprise sans penser sa dimension numérique
et son rapport avec les salariés dans le cadre du numérique»,
mettant en avant les statistiques de l’ANSSI : «une
entreprise victime d’un risque cyber ferme dans les trois mois».
Or, «peu
de PME sont assurées».
Pour prévenir ces cyberattaques, la clé reste la prévention. «La
protection numérique dans les PME n’est pas un sujet d’assurance,
c’est un sujet de prévention»,
avertit Régis Lemarchand. «La
prévention fait ainsi l’objet d’une vigilance accrue pour
réduire les risques»,
abonde Mathieu Montassier. D’autant que le risque est souvent
sous-estimé par les chefs d’entreprise. «Seulement
48% des dirigeants de TPE-PME expriment des craintes relatives à la
sécurité des données de leur entreprise»,
selon les derniers chiffres de France Num, indique Bernard
Cohen-Hadad.