Calmer les adhérents et convaincre les élus…

Une lente érosion mine le BTP mais l’annonce d’une nette baisse de la commande publique menace directement ce qu’il reste d’emploi et d’activité à préserver. Des PME ferment, la colère monte dans les rangs, Olivier Tommasini négocie le retour à la raison. Encore possible ?

Olivier Tommasini plaide la cause de la FFB auprès des politiques nationaux et régionaux.
Olivier Tommasini plaide la cause de la FFB auprès des politiques nationaux et régionaux.
D.R.

Olivier Tommasini plaide la cause de la FFB auprès des politiques nationaux et régionaux.

 

“Trop, c’est trop ! – Le Bâtiment élève la voix“, le dossier de la FFB1 n’a pu être remis au préfet de région à Lille le 31 janvier dernier, contrairement à ce qui s’est passé dans 80 autres départements de France. A la tête de ses troupes − des entrepreneurs mais aussi des salariés −, le président de la FFB régionale, Olivier Tommasini, avait voulu, sans aucun trouble à l’ordre public (tentes sur la place de la République, dépôt symbolique de casques blancs symbolisant les PME contraintes de fermer), accompagner une initiative nationale et informer tout un chacun et le préfet des conséquences de la politique actuelle du gouvernement sur l’emploi et l’activité.

Il y a peu, les esprits étaient au colloque de la FFB du 6 mars à Paris. Il s’agissait de convaincre que contrairement à ce qui se dit dans l’industrie, cette dernière n’a aucunement souffert de l’argent investi dans l’immobilier. Le BTP n’a d’ailleurs pas de plan B…

 

La situation actuelle s’est depuis détériorée par l’annonce d’une baisse de l’Etat des dotations aux collectivités territoriales pour 2013 avec reconduction, mais aggravée, pour 2014 et 2015. Ainsi, 2 milliards d’euros minimum passeront sous le nez des élus de proximité qui auront donc beaucoup de mal à passer commande de logements aux entreprises de bâtiment, les travaux publics étant eux aussi directement impactés. Mais d’autres mesures ont des conséquences négatives : hausse de la TVA en 2012 de 5,5 à 7%, puis en 2014 à 10% pour la rénovation et l’entretien, la construction sociale en secteur locatif et à l’accession en zone Anru notamment. Arrêt du prêt à taux zéro et exclusion de l’ancien, plafonnement global des niches fiscales, baisse de 10 puis 15% du crédit d’impôt développement durable et durcissement sur les matériaux et équipements agréés, suppression du crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunts immobiliers. Enfin, augmentation de la CSG-CRDS sur tous les revenus et gains en capital (13,5% puis 15,5%), création d’une surtaxe progressive de 2 à 6% pour certaines plus-values, blocage des loyers dans l’immobilier actif, suppression de la réduction d’impôts de 20% en réhabilitation et de 20% dans le neuf, et de 40% selon le type de résidence.

 

 Olivier Tommasini est assez désabusé… «Depuis 2008 en fait, nous sommes pressurés par l’Etat. Or, nous entraînons la plupart des secteurs d’activité et l’emploi. Quand le bâtiment va… : vous connaissez le suite. L’activité régionale du bâtiment a chuté alors jusqu’en 2010, un léger sursaut jusque 2011 et rechute ! Si vous tracez une courbe de 2008 à 2012, on est constants dans la médiocrité. Nos PME ont supprimé des emplois, pas d’un coup comme dans l’automobile mais petit à petit, 50 000 tout de même de 2008 à 2009, 15 000 en 2012, probablement 40 000 en 2013. Mon groupe comme d’autres a dû ne pas renouveler des contrats et cesser des apprentissages. On garde les anciens, plus compétents et opérationnels. Cela impacte la filière de la formation évidemment, en particulier dans les techniques d’avenir, celles du développement durable au moment où les textes du Grenelle et les nouveaux permis de construire entrent en vigueur.»

 

 Le plan de 100 000 logements bâtis dans la région, celui de Cécile Duflot concernant 500 000 logements créés en France et autant réhabilités sur le plan énergétique, est-il de nature à rassurer la FFB ?

Là aussi Olivier Tommasini revient au concret et à l’immédiat. «Je dis très bien, très bon plan… sur le papier ! Ça va faire du 50 000 à 100 000 € par logement. A ce prix-là un bailleur social préfère abattre et reconstruire. Bien sûr, à 80 000 € on peut faire des choses superbes. C’est l’économique qui va en souffrir parce qu’on fera peu de choses très performantes en réalité. Il y a de la bonne volonté de la part de la Région et de l’Etat, comment être contre ça ? Sauf que ça ne colle pas aux réalités du marché. On va encore créer de la précarité énergétique chez des gens qui ne pourront pas se chauffer correctement. Il faut en sortir mais par le réalisme. La Région dit qu’elle a trouvé un tiers financeur pour son programme de 100 000 logements… Cette personne − ce peut être un privé − se rembourse sur les économies d’énergie. Mais pour l’instant, je ne vois aucun tiers financeur se manifester. Alors, d’accord pour des initiatives, mais étayées par des mesures financières réalistes.»

 

Les collectivités territoriales sont responsables de 75% des investissements en France, que penser de ces baisses de dotations et quels effets sur l’activité du BTP ?

Si le marché du bâtiment locatif social est effectivement dans les mains des collectivités, il existe aussi le marché privé et celui des sociétés d’investissement qui battent de l’aile. Le particulier est constamment confronté à la problématique de trouver une aide financière. Quant au professionnel, il se demande si c’est le moment d’investir et avec quel retour vu ce qui se passe dans ce pays en ce moment. Le président de la FFB estime que plusieurs réponses doivent d’abord être apportées à quelques questions concrètes. «Par quoi d’efficace va être remplacé Dexia ; 10 milliards d’investissement, jusque-là gelés, vont-ils être remis dans le circuit en 2014 ? Pour l’instant on attend. On a des chantiers publics qui ne démarrent pas. Mon groupe en a 4 sur 20, les bailleurs sociaux ont les mêmes chiffres. En fait, c’est du déjà-vu, on n’est pas surpris par ces annonces. On n’est pas l’Espagne, la FFB construit utile dans ce pays. Les chiffres de demandes de logements neufs, ceux qui s’écroulent en ce moment, de réhabilitation d’ancien puisque nous avons, en particulier dans le Nord, un parc très important et que c’est cela que le Grenelle a voulu privilégier, on les connaît.»

 

Un million d’euros investi crée dix emplois directs et six indirects en un an ! Pour Olivier Tommasini, tout tient dans cette seule formule que les politiques doivent entendre, digérer et transformer très vite en action, tournant le dos à ce qu’ils font.

Les consultations se font chaque jour avec le Premier ministre et ses services, les députés et les institutionnels en région. «Mais, explique le président, ça coince politiquement. Notre discours est reçu et compris, mais ça ne suffit pas. Des députés hésitent à franchir le seuil, et le ministère du Budget décide en dernier ressort, même après un texte voté par le Parlement. Et ce n’est jamais en notre faveur.»

Exemple de la détérioration du marché pas franchement combattue par les pouvoirs publics et qui impacte profondément les entreprises du bâtiment : le travail clandestin low cost. «Récemment, dans le Valenciennnois, explique le président de la FFB, un politique explique dans une réunion de quartier que deux lotissements privés récents d’une ville d’eau ont bénéficié de voiries publiques pour lesquelles il a fallu emprunter. Et qu’on a découvert que le chantier avait été pris en mains par des Roumains et des Polonais illégaux et sous-payés. Le politique regrette alors d’avoir ouvert le porte-monnaie et a le sentiment de s’être fait berner.»  Olivier Tommasini ne se fatigue pas de dénoncer ces faits d’une fréquence proportionnelle au laxisme de ceux qui devraient réprimer. «Des lois existent, remarque-t-il, toute la filière clandestine tombe sous le coup de la loi, y compris le maître d’ouvrage. Or, la commande publique ferme trop souvent les yeux sur ces filières illégales. Comment faire accepter aux adhérents de la FFB qu’ils doivent, eux, respecter les textes et accepter d’être contrôlés par l’inspection du travail sur des détails, alors que le scandale règne partout ailleurs, en particulier sur les petits chantiers ?» Au-delà de l’aspect moral et républicain (respect de la loi), il y va aussi d’un réel manque à gagner pour les PME régionales et d’une concurrence déloyale qui crée un engrenage : moins de chantiers, plus de licenciements.

  

Développement durable et formation en danger. La filière de l’écoconstruction est en panne puisque ses soutiens financiers se sont déjà dérobés sous ses pieds. Les prévisions sont de -4% en volume global de construction, -8% dans le neuf ; pour 2014 c’est à voir. En réhabilitation, les chiffres sont meilleurs. «Le marché n’est pas là, remarque le président, nous formons pour rien mais que faire d’autre ? Seuls les plus forts survivront. Au 1er janvier 2014, pour toucher des aides il faudra que l’entreprise soit labellisée RGE (Reconnue Grenelle de l’environnement), donc être un professionnel de la performance énergétique. La FFB continue de muscler le dispositif, mais le marché ne nous aide pas si l’on se souvient que ce qui manque surtout à nos PME, c’est le primo-accédant au logement neuf. Pas l’investisseur, mais ce jeune ménage privé de taux zéro ! Voilà la clientèle perdue !»

 

1. Les propositions de la FFB sont toutes consultables sur www.ffbatiment.fr