«Se battre comme nous l’avons fait nous entretient !»
MyFerryLink opère sur le Calais-Douvres depuis août 2012. Discrète et faisant face à des problèmes d’organisation et de trésorerie, la nouvelle compagnie, issue de la volonté des ex-salariés de SeaFrance de poursuivre leur activité via une coopérative, se bat pour se faire une place entre le géant P&O (filiale du groupe dubaite Dubaï World Port) et l’opérateur maritime DFDS. Jean-Michel Giguet, directeur de MyFerryLink, répond pour la première fois à nos questions.
La Gazette. L’histoire récente du naufrage de SeaFrance a marqué la région comme le territoire du Calaisis. Comment arrivez-vous dans cette saga qui a conduit à la liquidation judiciaire de la filiale de transport maritime de la SNCF et à 1 200 licenciements ?
Jean-Michel Giguet. J’étais approché par quelques-uns des fondateurs de la Scop avant l’arrêt des traversées de SeaFrance : Didier Capelle, Bruno Landy et Philippe Parisseau. Je me suis intéressé à ce dossier en raison de la situation de tous ces gens compétents qui allaient perdre leur travail, et du pavillon français qu’il fallait maintenir sur le Détroit. Je me suis piqué au jeu.
Vos discussions se déroulent également avec Eurotunnel à cette époque ?
Eurotunnel n’arrive qu’en janvier dans le dossier. Après la liquidation, les contacts ont été établis. Je dois dire que j’étais assez sceptique au début sur le montage. J’ai vu le numéro 2 d’Eurotunnel, nous avons réfléchi ensemble et sommes parvenus à une solution durable. MyFerryLink est une filiale d’Eurotunnel et c’est la Scop qui exploite les navires. MyFerryLink est aujourd’hui un acteur incontournable sur le Détroit, avec une offre complète basée sur ses navires dont le troisième est désormais en activité depuis mi-février. En janvier, nous avons transporté plus de camions que lors des six premiers mois de notre activité.
La commission britannique relative à la concurrence dénonce, dans un rapport rendu partiellement public dernièrement, une situation qui perturbe la concurrence à cause des liens entre le propriétaire des bateaux, Eurotunnel, sa filiale, MyFerryLink, et son exploitant final, la coopérative. Comment réagissez-vous face à cet argument ?
Il y a eu un lobbying intense de DFDS sur cette affaire. On voudrait nous interdire d’exploiter des navires chez nous ? Sur les 500 salariés de MyFerryLink, il y en a au moins 80 qui sont calaisiens. On ne peut pas imaginer un seul instant que nous soyons interdits d’exercer notre activité dans notre pays quand d’autres viennent de fort loin nous contester ce droit ! DFDS veut apparaître en victime alors que toutes ses offres sur les bateaux ou sur la reprise de SeaFrance ont été repoussées par le tribunal de commerce.
La ligne Calais-Douvres est donc très rentable si elle attire autant…
Je ne sais pas si c’est très rentable, mais c’est difficile. C’est une ligne très convoitée et fortement concurrencée. Ce n’est facile pour personne. Nous exerçons notre activité de manière tout à fait normale. Nous n’avons pas de subventions comme DFDS peut en avoir à Dieppe.
Quid des services commerciaux de MyFerryLink et d’Eurotunnel ?
Dès le départ de la construction du projet, les services commerciaux d’Eurotunnel et de MyFerryLink étaient séparés. L’autorité de la concurrence française a interdit de manière absolue aux services d’échanger des informations. MyFerryLink ne connaît pas les prix pratiqués par Eurotunnel qui lui-même ne connaît pas les prix que nous pratiquons. Evidemment, j’estime les prix pratiqués par P&O, DFDS ou Eurotunnel, comme ils le font d’ailleurs à notre égard. Surtout, nous ne faisons pas d’offre combinée avec Eurotunnel avec qui nous aurions pu avoir des synergies.
Dans la foulée de la liquidation judiciaire de l’ancienne compagnie, les politiques se sont jetés au secours des salariés de SeaFrance. Le Conseil régional promettant 10 millions d’euros, la communauté d’agglomération du Calaisis 1 million d’euros, comme la ville de Calais qui dit avoir provisionné la somme. Intégrez-vous toutes ces promesses dans votre compte d’exploitation ?
Ces sommes qui ont été promises n’ont pas été distribuées. Et si elles devaient l’être, d’après ce que j’ai pu comprendre, elles ne seraient pas destinées à la Scop mais éventuellement destinées à soutenir l’investissement.
Cela veut dire qu’aujourd’hui les collectivités iraient donner de l’argent à Eurotunnel ?
Je ne suis pas persuadé que ce soit l’objectif des uns et des autres.
Plus globalement, le trafic transmanche a vu son offre fortement évoluer depuis deux ans. Il y a 11 ferries sur le Calais-Douvres. C’est trop ?
Il y a plus de 11 navires sur le Détroit. D’abord, tout part de Douvres, c’est très important de le comprendre parce que Douvres-Calais et Douvres-Dunkerque, c’est un même marché. Prenez la carte et retournez-la dans l’autre sens… C’est là où DFDS est très habile. Il y a 14 navires donc. Si c’est trop ou pas assez, je ne le sais pas. Mais ce n’est certainement pas les Rodin, Berlioz et Nord-Pas-de-Calais, qui naviguent ici depuis des années, qui sont illégitimes. On est sur un modèle économique extrêmement pertinent. On est sur des positions qu’on n’aurait jamais dû perdre si les choses avaient été faites sérieusement.
A la fin de l’année 2012, comment vont les affaires ?
C’est bien plus qu’un frémissement. On a transporté 12 000 camions en janvier. En février, c’est plus de 17 000. On est sur une dynamique qui démontre bien que les clients transporteurs sont séduits par notre offre qui n’est pas seulement tarifaire. C’est la qualité des navires, les horaires, la fréquence, la fiabilité, la qualité de services à bord… MyFerryLink est une véritable alternative crédible.
Eurotunnel a donné les seuls chiffres que nous avons pour votre activité : 6,9 millions d’euros de chiffre d’affaires sur la période allant d’août à décembre 2012. Quel est votre objectif proche ?
Notre objectif est d’être rentable à l’horizon 2014. Le trafic fret s’est redynamisé alors que le trafic passagers est encore prématuré. La saison commence à Pâques. Sans vouloir pratiquer la langue de bois, je n’ai pas les éléments aujourd’hui qui me permettent de vous répondre complètement. On est sur un trafic fret qui est en train de s’installer. C’est 60 à 70% de l’activité totale. C’est le socle. L’activité passagers est complémentaire. On a à promouvoir un nouveau nom, une nouvelle marque. On ne sera pas à l’équilibre en 2013. J’observe que tout le monde s’inquiète sur le déficit que l’on génère mais peu sur celui de DFDS sur le Calais-Douvres…
Comment vous inscrivez-vous dans le doublement prochain du port de Calais ?
On travaille sur nos perspectives en consolidant les bases. Le port, c’est après 2015. On sera là pour être avec les autorités compétentes pour leur apporter notre savoir-faire.
La Scop des anciens salariés de SeaFrance exploite les navires d’Eurotunnel. Vous êtes vous-même sociétaire. Comment se déroulent les relations avec un conseil de surveillance dirigé par des anciens syndicalistes, pratique peu courante dans le domaine maritime ?
C’est vrai que ce n’est pas courant. Il y a des équilibres à trouver. Ce qui est intéressant dans le projet, c’est pas tellement qu’il y ait des syndicalistes au sein du conseil de surveillance. L’intérêt, c’est que tous les salariés sont actionnaires, ce qui fait qu’ils sont reliés aux résultats de la Scop. Chaque salariés, quel que soit le nombre de parts qu’il détient, n’a qu’une voix. Mais on fonctionne comme une société normale : avec un directoire et un conseil de surveillance. Chacun assume ses fonctions. Il ne me viendrait pas à l’idée de prendre la place du commandant de bord. Nous avons tous une responsabilité dans les résultats de l’entreprise.
Une organisation originale
La troisième compagnie maritime sur le Détroit est formée de plusieurs acteurs liés dans une organisation originale. Eurotunnel a créé trois SCI pour “porter” les navires acquis avant l’été 2012. Ceux-ci sont loué à la Scop des ex-SeaFrance, qui est donc cliente des trois SCI. La Scop est aussi le fournisseur de services de MyFerryLink SAS qui assume le rôle commercial. Au centre du dispositif, Jean-Michel Giguet conduit les opérations de la Scop et de MyFerryLink.