«De grands navires ont changé de mains»
Si le bilan 2014 du marché des bureaux en transactions n’affichera pas de record à quelque 110 000 m2, celui de l’investissement est plus florissant à plus de 250 M€, nouveau record. Explications et commentaires avec Benoît Tirot, directeur général d’Arthur Loyd Lille.
La Gazette. Quel regard portez-vous sur le marché métropolitain de bureaux en 2014 ?
Benoît Tirot. Notre cabinet représente 36% du marché métropolitain des transactions de bureaux. Au quatrième trimestre 2014, ce sont 33 536 m2 qui ont été transactés. Ce volume de commercialisation, identique à celui de 2014 (30 282 m2), n’a pas permis de récupérer le retard pris sur les trois premiers trimestres, 79 012 m2 transactés contre 111 503 m2 en 2013, Le global 2014 est de 112 548 m2 contre 141 785 m2 en 2014, soit une baisse de 20,62%. Si l’on y ajoute les comptes propres en progression de 80,98% à 53 543 m2, le niveau global 2014 passe à 166 091 pour une baisse qui n’est plus que de 3,08% et se situe au-dessus de la moyenne annuelle constatée sur les dix dernières années à 158 000 m2.
Ce qui est flagrant, c’est le niveau bas du nombre de transactions à 294, alors que la moyenne à dix ans s’affiche à 386, avec une demande moyenne qui est passée dans le même temps de 521 m2 à 382 m2. Certains peuvent se réjouir des grandes transactions, des volumes atteints. Le monde bouge certes, mais pas tant que cela !
Au vu de ces chiffres, je pense que le marché lillois va rester un peu atone, un peu difficile. Certes, il y a quelques demandes exprimées de sièges sociaux, mais il s’agit d’un jeu de chaises musicales. Il ne suffit pas de mettre de l’offre pour s’apercevoir que le marché bouge. Ce n’est pas aussi simple que cela. L’offre neuve mise sur un secteur ne traite que l’urgence d’un secteur, cela n’en fait pas un marché. Le marché est aujourd’hui assez risqué, car il répond à des critères de rationalité et d’urgence par rapport à une problématique. On ne peut pas dire qu’il est dans une grande progression.
Tout n’est pas négatif pour autant…
Un élément positif est que le marché est moins suroffreur. Sur l’utilisateur, il y a peu de production en blanc, le neuf s’est absorbé sans se régénérer, ce qui entraînera un effet de décalage en 2016/2017. Par contre, la situation de suroffre s’atténue : de 297 000 m2 disponibles à un an à fin 2013, le marché va terminer 2014 dans les 260 000 m2, avec seulement 47 000 m2 de neuf disponible immédiatement. La transaction exprimant un mouvement, il faut faire le constat qu’elle libère plus qu’elle n’absorbe. Pour transacter 120 000 m2 sans produire beaucoup, le disponible devrait descendre beaucoup plus vite.
Cette diminution de la suroffre est bonne pour les valeurs. La suroffre est ce qu’il y a de pire pour leur maintien ! Le marché se stabilise globalement et va peut-être même rehausser, à considérer par exemple que sur Euralille, il n’y a que la seule livraison d’Ekla, 14 800 m2 portés par Icade, qui est prévue pour 2017. Même s’il y aura de la négociation dans un premier temps, cela va rehausser les prix ou, à tout le moins, les consolider. Rien n’interdit de penser que les prochaines transactions passent au-delà des 200 € le mètre carré.
Les utilisateurs s’y retrouvent-ils ?
Dans leurs motifs de recherche, il y a bien évidemment le contexte de crise : recherche de rationalisation, d’économies, de fonctionnalité, de gains de productivité. L’état d’esprit, c’est globalement la recherche du confort et de l’image en rationalisant. En cela, le neuf est intéressant.
Mais rien n’est simple. L’immeuble Le Bretagne à EuraTechnologies a mis un an pour se remplir, le secteur de la Haute-Borne a de la vacance à un niveau jamais connu. La différence, et l’avantage, entre Euralille qui est de l’urbain et la Haute-Borne qui est du périphérique, c’est une mise à disposition plus réactive, une anticipation plus facile. Vous pouvez répondre en 12 mois à une demande de 1 000 à 1 200 m2 sur la Haute-Borne quand, sur Euralille, les opérations sont à 24, voire 36 mois, et sont vendues en bloc avec une prise de risque beaucoup plus grande.
Que retenir encore ?
Il ne faut pas oublier le phénomène extrêmement important qu’est le montant record des investissements en bureaux, puisqu’après 144 M€ en 2013 et 225 M€ en 2012, leur montant 2014 va dépasser pour un nouveau record les 264 M€, à raison d’une vingtaine d’opérations pour quelque 91 000 m2 et des valeurs en augmentation. Beaucoup de changements de mains et d’arbitrages ont été faits, notamment sur le secteur Euralille/Lille-Gare avec les ventes de l’Arcuriales, des Canonniers, des Buisses, de l’Irisium, du Romarin ou de l’Opéra-Faidherbe. Si sur les huit opérations lilloises, deux investisseurs allemands ont vendu, les acheteurs sont d’abord des institutions de type SCPI devant les foncières et les compagnies d’assurances.
Faute de trouver les produits souhaités, la prise de risque par les investisseurs devient nécessaire. S’ils achètent très cher et à des taux extrêmement agressifs, ils le font essentiellement sur Euralille/Lille-Gare, car, pour chercher la consolidation, la confiance ne s’établit qu’au cœur du système, là où ils ne perdront pas de valeur et où le marché de l’utilisateur répondra toujours présent. Mais le marché de l’investissement ne se résume pas qu’à ces deux secteurs. Pour témoin cette SCPI qui a fait montre de beaucoup d’agressivité à Wasquehal sur un actif de moins de cinq ans produisant de suite du revenu. Même en cette période difficile, dès lors que le produit est dans la cible et qu’il réunit tous les critères de confiance sur un secteur, l’investisseur vient.
Parce que 70% des entreprises qui s’installent dans un secteur proviennent de ce même secteur, les investisseurs regardent, pour se décider, sa stabilité, son volume global, sa profondeur. C’est sans doute l’une des difficultés d’un secteur en développement comme L’Union qui manque peut-être encore de capacité et de synergie pour créer une vraie confiance. Il lui faut encore créer une capacité que les arrivées de Vinci, Lille Métropole habitat, Kipsta pourraient lui amener. A l’inverse d’EuraTechnologies où la cohérence du concept, le service donné et le nombre d’entreprises qui s’y implantent génère la confiance des investisseurs. Le marché ne fonctionne aujourd’hui qu’à travers une captation de cette dynamique de mouvement par la captation d’une dynamique de développement. C’est ainsi que l’intégrateur NextiraOne a trouvé de la cohérence à s’installer sur deux plateaux de 400 m2 à EuraTechnologies, alors qu’il libérait 3 200 m2 à parc Europe à Marcq-en-Barœul. L’investisseur, qui y voit une cohérence se créer, une profondeur de marché s’établir, est en confiance par rapport à l’anticipation.
Ce phénomène est-il extensible ?
Les implantations appellent les implantations. Dans un système tertiaire, l’entreprise recherche des synergies et va avec l’entreprise. A partir du moment où il y a une confiance, une synergie, une profondeur, un creuset d’entreprises, l’anticipation est possible et les investisseurs arrivent. Ce fut le cas pour les Grands-Boulevards, Château-Rouge, Château-Blanc… Mais à un moment donné, en sus du phénomène de concurrence, il y a surdose, le système atteint sa limite et se calme. C’est la phénomène d’absorption d’un EuraTechnologies qui, sur Le Bretagne, se remplit avec Cap Gémini, IBM… Pour le prime, le très bien placé au cœur du système, il y a beaucoup d’appétit de la part des investisseurs.
Et 2015 ?
L’un des effets de la crise sur la transaction, c’est l’allongement du délai de réalisation. Il faut plus de temps pour faire la même transaction. Arthur Loyd Lille a démarré 2014 avec un niveau de report d’opérations glissantes d’une année sur l’autre qui était l’un des plus faibles de ces dix dernières années. A l’inverse de cette année où le report est excellent. Je pense que ce n’est pas dû à un contexte qui s’améliore, mais bien à un délai de réalisation qui s’allonge. Il nous faut plus d’un an pour concrétiser une affaire.
Pour 2015, il est vrai qu’on peut être aussi optimiste à considérer quelques grosses potentialités de projets qui sont actuellement étudiés, comme Orange. Il en est quelques-unes qui peuvent nous laisser des motivations sur 2015/2016.
Actuellement, le marché métropolitain n’est pas très bon en volume. Une dynamique de mouvement existe, mais on absorbe moins qu’on ne libère, on réduit, on rationalise, on optimise. C’est un effet de la crise qui perdure, Si l’on veut retrouver des volumes, repasser au-delà des 150 000 m2 réalisés, il faut de la croissance, du mouvement, de la dynamique de développement. C’est cela qui aujourd’hui manque.
Par contre, je pense qu’il y aura toujours un appétit assez important des investisseurs. Y aura-t-il de bons arbitrages ? Je n’en sais rien. Il ne suffit pas d’avoir de la demande, il faut avoir de l’offre. En bureaux utilisateurs, la Métropole a une offre importante, certes pas toujours très bien ciblée, avec une demande qui est plus faible, alors que sur l’investissement, il y a un appétit très fort avec une offre ciblée plus rare.
Résultats définitifs
112 548 m2 commercialisés en 2014
Les données 2014 du marché des bureaux de la métropole lilloise, élaborées par l’OBM1, ont été officialisées récemment. Le total des transactions s’est élevé à 112 548 m2, dont 33 080 m2 commercialisés dans le neuf et 79 468 m2 en seconde main, alors qu’il était en 2013 de 141 785 m2 et en moyenne sur les cinq dernières années de 130 883 m2.
Si l’on y ajoute les comptes propres, 53 543 m2, ce total passe à 166 091 m2, soit davantage que la moyenne des cinq dernières années (157 435 m2).
Le marché du neuf est en baisse : il atteignait 63 321 m2 en 2013 et 49 126 m2 sur les cinq dernières années. Celui de la seconde main est stable à 79 468 m2 contre 78 464 m2 en 2013 et 81 757 m2 sur les cinq dernières années.
Le nombre de transactions a chuté de 20% à 294 unités par rapport à la moyenne des cinq dernières années (362). Le nombre de transactions supérieures à 1 000 m2 est passé de 43 en 2013 à 22 en 2014.
1. Observatoire du marché des bureaux de la métropole lilloise.