Entretien avec Patrick Scharnitzky, directeur associé au sein du cabinet de conseil et de formation AlterNego
«C’est la diversité des profils qui apportent de la richesse aux entreprises»
Docteur en psychologie sociale, Patrick Scharnitzky est directeur associé au sein du cabinet de conseil et de formation AlterNego, qui a récemment publié une étude sur la deuxième partie de carrière des salariés. Il accompagne les entreprises sur les questions liées à l’inclusion, au management intelligent des diversités, et à l’impact des stéréotypes sur les interactions sociales et professionnelles. Interview.
Que
révèle l’étude du cabinet AlterNego* sur la deuxième partie de
carrière ?
Elle
met essentiellement en évidence un décalage fort de perception chez
les plus de 45 ans. D’un côté, ils se déclarent volontaires,
désireux de continuer à se projeter dans l’entreprise et surtout
plus disponibles, car allégés de certaines charges familiales. En
effet, près de 90% des répondants disent souhaiter transmettre ce
qu’ils savent de leur travail dans leur entreprise et ce taux ne
décline pas avec l’âge entre les 45-49 ans et les plus de 60 ans.
Mais de l’autre, ils
expriment
le sentiment
que
l’entreprise n’a plus grand-chose à leur offrir, dans un climat
de jeunisme qui peut les stigmatiser. Ils ne sont que 25% à
considérer que «les
opportunités d’évolution de carrière que me
propose mon entreprise sont satisfaisantes»
et ce taux décline avec l’âge.
De
quels stéréotypes pâtissent les seniors ?
Ce
n’est pas vraiment nouveau, mais le jeunisme ambiant et grandissant
de notre société cimente des stéréotypes envers les «plus
seniors» dans
les entreprises. On les dit peu à l’aise avec les outils digitaux,
démotivés, moins adaptables et manquant d’énergie. Ces
stéréotypes, confirmés par 25% des répondants, génèrent de la
discrimination pour près de 30% d’entre
eux
et des micro-agressions, telles que des blagues jeunistes (28% des
salariés interrogés).
Que
peuvent-ils pourtant apporter aux entreprises ?
C’est
la diversité des profils et le mélange, dans une logique
d’inclusion, qui apportent de la richesse aux entreprises. Les
«plus
seniors» ne
sont donc, dans l’absolu, ni meilleurs ni pires que les autres. En
revanche, amener les générations à s’apporter mutuellement et
s’appuyer sur l’expérience des plus anciens est forcément une
richesse. La
gestion des âges
est aussi un levier indirect de la mixité femmes/hommes. En effet,
si on rallonge les carrières et limite les effets du plafond de
verre, on permet aux femmes, qui ont statistiquement une charge
mentale plus lourde et un équilibre des temps de vie plus précaire,
de se projeter et de monter dans la hiérarchie de l’entreprise. On
voit d’ailleurs, dans l’étude, que les femmes sont légèrement
plus
appétentes
sur le sujet de la seconde partie de carrière. Mais
surtout, elles sont plus nombreuses au-delà de 45 ans à dire
s’autocensurer (28%, contre 22% des hommes) et moins à se sentir
reconnues pour qui elles sont (49%, vs
54% pour les hommes).
Comment
aller dans le sens du gouvernement et accroître l’emploi des
seniors et aider aux reconversions ?
Plusieurs
niveaux d’action sont possibles, en allant des plus «légères»
aux plus «autoritaires». Il faut changer la culture
d’entreprise et les stéréotypes, en luttant contre le jeunisme
(wording,
visuels, rôles modèles…). Plus d’un répondant sur deux
considère travailler dans un environnement jeuniste et ce sentiment
corrèle négativement avec
le sentiment d’appartenance, le respect de la singularité de
chacun et le partage des valeurs dans l’entreprise. Il est ensuite
nécessaire de changer les pratiques de gestion des carrières, tant
sur le recrutement que sur l’accès à la formation et la gestion
du temps des carrières. 55%
des répondants expriment le fait que «passé
un certain âge, certains postes de l’entreprise ne sont plus
accessibles».
Enfin, et si c’est nécessaire, il faudra imaginer un quota de
salariés au-delà d’un seuil d’âge, qui reste à définir, à
condition de bien le calibrer et de le rendre
adaptable aux différents secteurs d’activité.
De
quelle manière les entreprises peuvent-elles penser et mettre en
place une politique d’accompagnement des plus de 45 ans ?
Le
plus important est de faire sauter le plafond de verre lié à l’âge.
Il existe dans beaucoup d’entreprises un seuil implicite au-delà
duquel «on
ne fait plus carrière».
Cela est dévastateur pour les plus âgés et, d’une façon
projective, pour les plus jeunes. Et surtout,
totalement
en inadéquation avec les temps de la vie privée. Avec un premier
enfant autour de 30 ans et un second avant 35 ans, la «famille
type» produit un embouteillage dans l’équilibre des temps
de vie, le plus fort entre 30 et 45 ans. Et c’est malheureusement
pile la période pendant laquelle on demande aux salariés de jouer
leur carrière. C’est un non-sens.
Notre étude démontre que les
entreprises qui déploient le plus d’actions d’accompagnement de
la seconde partie de carrière sont celles dans lesquelles les
opinions et ressentis sont les plus positifs. Les actions les plus
plébiscitées sont : d’abord, la mise en place de dispositifs de
temps partiel
payés
à temps plein (83% des répondants) ; puis,
le tutorat et le mentoring (76%) ; le mécénat de compétences
(71%) ; et l’accompagnement des personnes aidantes (69%).
Comment
les pratiques peuvent-elles devenir moins discriminatoires et plus
inclusives ?
Pour
réussir cette transformation, il faut engager tous les acteurs de
l’entreprise dans le même sens : les dirigeants, à travers
une vision et des objectifs ; les RH, par des outils de gestion
des carrières dépollués des stéréotypes ; les managers,
dans leur capacité à gérer la dynamique des collectifs, en luttant
contre toutes les micro-agressions (blagues, remarques déplacées…) ;
et enfin les communicants, en redonnant aux
«plus seniors» une
place et une image qui leur permettent de s’identifier et «d’oser
être soi».
L’inclusion
des salariés en seconde partie de carrière passe immanquablement
par le sens donné au travail.
Même si ce constat est vrai pour toutes les générations, il est
clair que plus on se sent exclu,
plus la question du sens est centrale dans la façon de retrouver une
place et de se sentir inclus.
Le sentiment de trouver du sens dans son travail est corrélé dans
notre étude
avec trois
aspects : le plaisir de transmettre, le sentiment d’autonomie
dans son travail et la qualité du soutien social.
*Questionnaire réalisée en ligne du 15 janvier au 15 février 2023, auprès de 10 205 salariés de 45 à 60 ans en emploi