Bridgestone annonce la fermeture de son site béthunois
La nouvelle est tombée : la direction du groupe Bridgestone a décidé de fermer son seul site de fabrication de pneumatiques français, à Béthune. Jugé peu rentable, le site ouvert en 1961 produit des pneus bas de gamme. Cette décision risque de laisser 863 personnes sur le carreau.
Certains diront que c’est un des effets de la crise sanitaire de la Covid-19 et du ralentissement général ressenti par la filière automobile. D’autres, qui analysent plus largement la situation et connaissent un peu le site béthunois du groupe Bridgestone, diront que cette décision était attendue depuis plusieurs années.
Une chose est sûre, l’usine a été délaissée par le fabricant japonais de pneumatiques : aucun investissement, aucune modernisation de l’outil de production depuis de nombreuses années. Toujours est-il que la fermeture du site est vécu comme un véritable tsunami dans le Béthunois où l’usine emploie plus de 800 personnes et fait vivre de nombreuses familles.
Certes, le contexte économique n’est pas des plus favorables et les choix stratégiques du groupe pour cette usine n’ont pas forcément été les bons. Mais, à y regarder d’un peu plus près, on se rend compte que ce dossier est beaucoup plus complexe.
Le groupe japonais aurait dû moderniser l’outil de production depuis longtemps pour augmenter sa rentabilité. Il aurait également dû y produire des pneus de plus grande taille et haut de gamme, compatibles avec le coût du travail en France. Mais à quoi bon investir dans un outil de ce type alors que les grosses cylindrées, auxquelles ces pneumatiques haut de gamme sont destinés, n’ont plus vraiment le vent en poupe… En effet, les pouvoirs publics veulent limiter leur commercialisation, les importants malus écologiques en sont la preuve. Grenelle de l’environnement, incitation fiscale pour la vente de véhicules plus propres et, en parallèle, des villes qui limitent la circulation des véhicules et développent les pistes cyclables à tel point qu’aujourd’hui, il y a plus d’embouteillages de vélos que de voitures dans l’hypercentre de Paris par exemple.
863 salariés concernés
Sur le site béthunois, les 863 salariés du site ont appris brutalement, dans un communiqué de la direction Europe, que leur usine allait fermer au deuxième trimestre 2021. Soit dans un peu plus de six mois. «Compte tenu des évolutions à long terme de l’industrie du véhicule de tourisme en Europe, Bridgestone doit envisager des mesures structurelles pour réduire sa surcapacité de production et améliorer son efficacité opérationnelle», indique Laurent Dartoux, président et directeur général de Bridgestone Europe, Afrique et Moyen-Orient.
Le groupe indique qu’il a d’ores et déjà étudié tous les scénarios possibles, indiquant que «la cessation totale et définitive de l’activité de l’usine de Béthune est la seule option qui permettrait de sauvegarder la compétitivité des opérations de Bridgestone en Europe».
L’annonce a révolté les salariés qui voient se reproduire un scénario trop bien connu en région : il y a vingt ans avec Métaleurop, il y a une dizaine d’années avec Continental et six ans avec GoodYear d’Amiens-Nord. L’usine de Béthune est le plus gros employeur de la ville de 25 000 habitants et 863 salariés vont se retrouver au chômage.
A l’issue d’une réunion avec les représentants des salariés, le groupe s’est engagé à mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour définir un plan d’accompagnement adapté à chaque employé. «Ce plan sera élaboré dans les prochains mois en étroite collaboration et dans le cadre d’un dialogue avec les représentants du personnel», précise la direction dans son communiqué.
Il s’engage notamment à proposer des mesures de préretraite, souhaite encourager le reclassement interne des salariés au sein des autres activités de Bridgestone en France et favoriser le reclassement externe. En France, Bridgestone emploie plus de 3 500 personnes et dispose d’un solide réseau de distribution, constitué entre autres des enseignes Speedy et First Stop.
Le monde politique s’en mêle
La fermeture du site à peine annoncée, le monde politique réagissait. Olivier Gacquerre, maire de Béthune et président de l’agglomération de Béthune-Bruay, se dit écœuré par la nouvelle, mais ne veut pas se résigner : «Au premier round, Brigdestone a tout lâché, c’était violent. Mais quand le boxeur d’en face sait s’écarter, il peut tenir cinq rounds. Et on est toujours sur le ring, avec l’espoir du plan B !“
Jean-Claude Leroy, président du Département du Pas-de-Calais, voit en cette fermeture une véritable catastrophe : «La fermeture de cette usine emblématique du Béthunois est le résultat d’un sous-investissement sur le site. Un acte prémédité d’un grand groupe international. Le Conseil départemental sera présent aux côtés des salariés et des élus du territoire pour faire face aux conséquences de cette annonce. Nous devons tous y travailler collectivement.»
Le président de Région, Xavier Bertrand, va plus loin. C’est un «assassinat prémédité» dit-il, évoquant la «possibilité de changer la donne» : «On doit tout faire pour forcer – je dis bien forcer – Bridgestone, à envisager un autre plan industriel.» Le président de Région souhaite instaurer un dialogue avec Bridgestone et espère que le groupe est prêt à «discuter d’un projet d’investissement sur ce site». Xavier Bertrand indique que «l’État et les collectivités locales mettront alors de l’argent sur la table» si le groupe s’engage dans une autre direction. Par contre, il menace : «Si ce sont des financiers qui ne souhaitent pas investir, cela va leur coûter beaucoup plus cher de fermer le site, et ça va prendre des années.»
Rapidement, les ministres de l’Économie, de l’Industrie et du Travail se sont rendus sur place pour rencontrer élus locaux et représentants syndicaux. La ministre de l’Industrie, Agnès Pannier Runacher, indique «qu’un accord de méthode ouvrant la voie sur cinq mois de discussion sur des scénarios alternatifs à la fermeture a été signé entre la direction et les syndicats, et qu’avec ce délai, tout est encore possible».
Par ailleurs, des élus politiques de tout bord veulent aller plus loin et réclament le remboursement des aides publiques récemment versées. Des aides s’élèvant à 1,8 million d’euros de CICE, dont 620 000 euros d’aides régionales.
Cependant, si le monde politique est décidé à faire pression sur le groupe japonais pour qu’une solution alternative soit trouvée, il n’en reste pas moins, comme l’indiquait dans le cadre d’un dossier similaire Lionel Jospin, alors Premier ministre, que «l’État ne peut pas tout». De fait, la direction du groupe est bien la seule à décider…