Un webinar transfrontalier

Brexit : Les Hauts-de-France et le Royaume-Uni continuent de discuter leurs frontières

Le 15 février dernier, des représentants de l’Etat, de la Région Hauts-de-France, de l’enseignement et de plusieurs entreprises ont échangé sur les problématiques liées aux frontières et au Brexit.

Rencontre web des acteurs du transmanche, le 15 février dernier. © Aletheia Press/MR
Rencontre web des acteurs du transmanche, le 15 février dernier. © Aletheia Press/MR

A l'initiative de la préfecture, en partenariat avec l’Institut d'études politiques de Lille, un webinar s'est tenu le 15 février dernier, quant aux problématiques relatives à la frontière post-Brexit et aux nouveaux rapports concurrentiels sur le transmanche.

Certes, les Etats ont redécouvert la notion de frontière depuis la pandémie de la Covid-19. Mais, en Europe, l’année fut aussi marquée par la sortie d’un Etat de l’Union européenne, membre de celle-ci depuis 1973. Une révolution institutionnelle et économique pour le territoire, qui voit passer 230 millions de tonnes de marchandises et plus de 200 millions de passagers sur le Détroit par an.

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Les trafics ont baissé de 50% dans le sens Continent/Grande-Bretagne, contre 30% dans l’autre sens. (@Aletheia Press/Arnaud Morel)

Confiance et ouverture

La frontière n’est pas seulement ce qui sépare, délimite ou exclut ; elle est surtout un concept synonyme d’échanges et de création de valeur... que chacun tire à son avantage. 

«Plus la confiance entre les Etats qui la bordent est grande, plus elle est une zone d’échange. Moins la confiance est grande, plus elle se crispe en limites», rappelle Paul-François Schira, sous-préfet délégué au Brexit. 

L’actualité des derniers mois a ainsi révélé une situation où l’Union européenne et la Grande-Bretagne ont brillé par leur défiance réciproque. Le feuilleton du Brexit a cristallisé un éloignement plus profond qu’il n’y paraissait avec nos voisins d’outre-Manche.

Pour autant, les acteurs économiques s’affairent à chercher des solutions. «Il faut imaginer des hubs sur le tracé du canal Seine-Nord. Les quatre plateformes doivent être connectées avec le tunnel», a plaidé Franck Grimonprez, à la tête du groupe Log’s, une idée d'ailleurs relayée par Bruno Fontaine, «parrain de l’événement» et PDG de Norlink.

Et de poursuivre : «Cette situation doit nous pousser à renforcer l’avantage géographique de notre territoire. Les Hauts-de-France sont en ordre de bataille avec la frontière intelligente, les moyens mis en place, les infrastructures, les compétences, etc. L’urgent et l’important ont été traités. Il n’y a pas eu le chaos que certains promettaient. Nous sommes opérationnels et performants. Nous devons maintenant gagner la bataille commerciale avec nos voisins.»

Un début de Brexit réussi

Du côté Douanes, le bilan est lucide : «L’organisation des moyens préparés a porté ses fruits. Tous les jours, on résout des petits problèmes dans la nouvelle supply chain qui s’est mise en place : tous les acteurs n’ont pas pris leurs marques. On a encore des réglages fins qu’il faut profiter de faire pendant la période un peu calme d’après-constitution des stocks suite aux fêtes de fin d’année», a expliqué Jean-Michel Thillier, directeur interrégional des Douanes .

Les trafics ont baissé de 50% dans le sens Continent/Grande-Bretagne contre 30% dans l’autre sens. «Les Britanniques doivent aussi se mettre à jour au niveau informatique», continue-t-il. 

Pour Philippe Voiry, ambassadeur de France à la Commission intergouvernementale à la coopération et aux frontières, il convient de rester prudent : «On a eu tort de croire qu’un accord allait aplanir toutes les difficultés. Les nouvelles relations sont inscrites dans un cadre qui suppose des formalités et des contrôles. La clé, c’est la frontière intelligente qui nous permet de conserver un flux.»

 Le passage moyen d’un poids lourd est en effet de deux minutes actuellement. 

«La frontière, c’est la zone où les règles changent, a affirmé Dominique Riquet, parlementaire européen. Plus que les règles, c’est au niveau des normes que les principaux enjeux se cristallisent. Nous assistons à une dynamique de divergences avec nos voisins anglais.»

Après bien des décennies d’ouverture à la faveur de la mondialisation, les temps sont donc à la restructuration des limites : fiscales, environnementales, sanitaires, sociales, les normes divergeront de plus en plus et modifieront les trafics.

Surveiller les frontières irlandaises

Pour France Beury, déléguée aux affaires européennes et internationales chez TLF Overseas, l’incertitude persiste pour le futur proche : «Il y aura très probablement de grandes disparités. On ne connaît pas les règles européennes de demain ni celles du Royaume-Uni.»

Le marché a toujours fonctionné en tirant parti de l’instabilité. Sur le transmanche, l’enjeu reste la fluidité : une fois celle-ci acquise, la Douane cible les contrôles. «On doit faire des contrôles qui vont bien. On a déjà saisi des masques qui n’étaient pas conformes... N’oublions que pas la frontière entre les deux Irlande est gérée de manière assez imprécise. La démarcation entre Angleterre et Irlande du Nord et la ligne entre les deux Irlande sont floues. On a une supervision de la Commission et des Etats membres. Ça sera un sujet de détournement potentiel de trafic», ose le directeur des Douanes.

Le Brexit favorise cependant l’ouverture de nouvelles lignes comme Dunkerque-Roeselare. Ce type de lignes, plus longues, est une des perspectives visées par les ports de la Côte d’Opale avec le ferroviaire. Les qualités de ces infrastructures sont réputées pour attirer les trafics Nord-Sud. Reste à démontrer qu’elles peuvent tout autant générer des flux Est-Ouest.

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(@Aletheia Press/MR)

Une concurrence exacerbée dans un contexte de diversification

Jean-Marc Joan, professeur à l’ULCO, fait remarquer que «plus de 60% des trafics passent par le Détroit. Une grande partie passe devant les ports belges et continue sa route pour arriver dans nos ports. Des marchandises polonaises passent devant Zeebrugge pour venir sur le Détroit. Cela se poursuivra-t-il avec le Brexit ? Notre système, c’est 98% de trafic accompagné».

Pour la rapidité, la souplesse, les fréquences, Calais et Dunkerque ont fait leurs preuves. L’enjeu réside désormais à se maintenir face à la concurrence des ports de Belgique et des Pays-Bas. Anvers (qui vient de fusionner avec Zeebrugge), Amsterdam et Rotterdam sont spécialisées sur le non-accompagné et les lignes plus lointaines. Avec le Brexit, on s’attend à une certaine érosion des trafics.

Sur tous les marchés, les ports de nos voisins de la mer du Nord ont moins baissé qu’en France. En conséquence, il y eu moins d’investissement et une anticipation des rythmes logistiques. Le trafic non accompagné reprend ainsi de la vigueur car il a des lignes longues. Sur la Côte d’Opale, la seule ligne longue est celle de Dunkerque-Roeselare. Le trafic non accompagné demeure marginal (40 000 remorques sur 4 millions en 2020).

La concurrence se jouera aussi sur l’application des règles. «La performance de fluidité est fondée sur la frontière intelligente et la rigueur avec laquelle vous appliquez les règles. On sait que nos voisins ont une vision plus élastique sur l’application réglementaire…» souligne Dominique Riquet qui rappelle que «les grands ports de la mer du Nord sont déjà saturés. On a donc des arguments car nous possédons une capacité non exploitée sur nos côtes». 

En conclusion, Jean-Michel Joan a rappelé que les trafics allaient probablement se spécialiser : «On va revenir au transmanche emblématique comme il y a 30 ans. Comme Dentressangle qui avait organisé le marché britannique au niveau logistique. Les petits n’auront plus de place et les gros vont gérer ce marché.» Et d’autres, plus audacieux, ouvriront d’autres voies, pour bien encadrer nos chers voisins...

Les participants

Philippe Voiry, ambassadeur de France à la Commission intergouvernementale à la coopération et aux frontières ; Paul-François Schira, sous-préfet délégué au Brexit ; France Beury, déléguée aux affaires européennes et internationales chez TLF Overseas ; Bruno Fontaine, PDG de Norlink ; Jean-Michel Thillier, directeur interrégional des Douanes ; Dominique Riquet, parlementaire européen ; le géographe Jean-Marc Joan, professeur à l’Université du Littoral et de la Côte d’Opale (ULCO).