Au Sphinx, éloge de la proximité

Rouverte en 1947 après une courte existence avant la guerre, la maroquinerie calaisienne «Au Sphinx» fête ses 70 ans. Comment, dans un paysage commercial chaque jour bouleversé, certaines boutiques parviennent-elles à cette longévité ? Sandra Péron, actuelle propriétaire du magasin, tente de répondre à la question.

Mme Sandra Péron à l’intérieur de sa boutique.
Mme Sandra Péron à l’intérieur de sa boutique.

Le magasin «Au Sphinx» à Calais est un faux septuagénaire. Certes, son actuelle dirigeante, Sandra Péron, souhaite marquer le soixante-dixième anniversaire de sa réouverture en 1947. Mais l’enseigne existait déjà entre les deux guerres, on y vendait des chapeaux. Le commerçant de l’époque, M. Sausiez, avait conçu un décor qui devait alors être banal, mais qui, entretenu par les propriétaires successifs, donne aujourd’hui un aspect vintage qui n’est pas pour déplaire aux chalands. M. Sausiez dut se résoudre à fermer boutique lors du conflit mondial.

Trois propriétaires en 66 ans. Après la guerre, le magasin ouvre à nouveau sous l’égide de M. Duplouy. On y vend des bagages et des chapeaux, ainsi que les premiers articles féminins. «Le voyage commençait ici», indique Mme Peron. C’était l’époque où l’industrie de la dentelle employait  des commissionnaires qui parcouraient le monde. La clientèle était toute trouvée. En 1970, un repreneur, M. Bauer, crée une succursale à Calais-Nord, rue Royale. Une implantation à laquelle devra vite renoncer M. Tales, qui a pris les commandes du Sphinx en 1990, suite aux changements imposés au commerce local par l’irruption de la Cité Europe dans le paysage du littoral.  

La cliente devient la patronne. Au début des années 2010, M. Tales voit arriver l’heure de la retraite et n’a pas de repreneur. Sandra Péron, alors cadre de la compagnie SeaFrance, est cliente du Sphinx. Elle apprend la probable fermeture de ce fleuron du commerce calaisien. Elle décide de prendre la suite, profitant au passage d’un plan social monté par la compagnie maritime qui l’employait jusque-là. Depuis 2013, c’est elle qui préside aux destinées du Sphinx.

Une gamme étendue… jusqu’aux cartables. Depuis longtemps, les chapeaux ont disparu de la boutique. Les bagages sont restés et la maroquinerie a pris une place importante. Les marques Le Tanneur, Mc Douglas, Texier, Lancaster et Paul Marius sont distribuées par Mme Péron. Une  gamme qui s’enrichit avec les accessoires, tels que les ceintures et les parapluies. Et, surprise, les cartables scolaires. Selon Mme Péron, il existe encore des familles qui n’achètent pas trimestriellement un cartable bon marché en grande distribution. Régulièrement, elle voit arriver dans sa boutique des parents en compagnie de leur(s) enfant(s). Au cours de l’achat, il n’est pas rare que les premiers glissent qu’ils ont encore le cartable que leurs propres parents leur ont acheté dans le même commerce une génération plus tôt…

La recette du succès. Même si elle n’est aux commandes du Sphinx que depuis quatre ans, nous avons demandé à Mme Péron quelle est la «recette» pour qu’un tel commerce puisse perdurer à travers les décennies. «Notre force, nous la trouvons dans notre capacité à donner le bon conseil, à assurer le meilleur service et à offrir notre disponibilité», répond Sandra Péron. Qui enchaîne, faisant allusion au décor préservé des débuts presque centenaires de la boutique : «Nous avons la chance de mettre le produit que nous vendons dans un environnement qui va plaire au client. Nous ne sommes pas un self-service. Nous sommes un commerce de proximité.» D’un esprit résolument combatif, refusant toute forme de sinistrose, Mme Péron concède toutefois qu’en dépit du riche passé de la boutique, «ce n’est pas pour autant que c’est facile». Son dynamisme et sa mémoire prodigieuse sur les attentes et les goûts de ses clients contribueront toujours à attirer la clientèle de Calais, des environs et même des villes voisines vers le Sphinx.

Hervé Morcrette

Sandra Péron à l’intérieur de sa boutique.