Au Salvador, après l'insécurité l'économie, nouveau défi pour le président réélu Bukele

Les Salvadoriens ont renouvelé leur confiance à Nayib Bukele, triomphalement réélu dimanche au premier tour de la présidentielle, reconnaissants de sa "guerre contre les gangs". Mais les analystes estiment que les difficultés économiques prédisent...

Une vendeuse prépare des tortillas sur son stand de rue pendant les élections présidentielles et législatives, à Soyapango, le 4 février 2024 au Salvador © Camilo FREEDMAN
Une vendeuse prépare des tortillas sur son stand de rue pendant les élections présidentielles et législatives, à Soyapango, le 4 février 2024 au Salvador © Camilo FREEDMAN

Les Salvadoriens ont renouvelé leur confiance à Nayib Bukele, triomphalement réélu dimanche au premier tour de la présidentielle, reconnaissants de sa "guerre contre les gangs". Mais les analystes estiment que les difficultés économiques prédisent la fin de la lune de miel.

"Son deuxième mandat sera problématique car les attentes du peuple ne seront pas satisfaites sur le plan économique et social. Il pourrait y avoir de la déception", prédit pour l'AFP l'économiste salvadorien indépendant Cesar Villalona.

Si les Salvadoriens louent un taux d'homicide au plus bas dans le petit pays d'Amérique centrale autrefois considéré parmi les plus dangereux au monde, ils s'habituent à une vie sans la peur de l'extorsion et de la violence des maras.

"La situation sécuritaire s'est améliorée, mais l'économie est encore mal en point", relève à l'AFP l'analyste Michael Shifter, du groupe de réflexion Inter-American Dialogue à Washington. "Il y a encore beaucoup de Salvadoriens qui quittent le pays".

Tout est plus cher

Dimanche, M. Bukele a promis "une période de prospérité", car "il n'y a plus de frein à la création d'entreprise, plus de frein aux études, plus de frein au travail, plus de frein au tourisme".

Mais la grogne commence à se faire sentir dans la rue.

En termes de "santé, d'éducation, il y a besoin de beaucoup de changements", dit à l'AFP Blanca Noemi, 52 ans, vendeuse ambulante de la capitale.

"Tout est plus cher. Le coût des produits de base a augmenté", confirme le chauffeur de taxi Miguel Juarez, 37 ans, tandis qu'Elizet Garcia, femme au foyer de 35 ans, réclame "plus d'opportunités pour les jeunes".

Selon l'économiste Cesar Villalona, le ralentissement de la croissance économique et la baisse de la production agricole et industrielle sont de mauvais augure pour l'avenir.

Le coût d'un panier de denrées alimentaires de base -pain, haricots, viande, œufs, fruits - a augmenté d'environ 30% au cours des trois dernières années, alors que le salaire minimum n'a crû que d'environ 20%.

Près de 30% des Salvadoriens vivent dans la pauvreté et près d'un sur dix dans l'extrême pauvreté, selon les chiffres 2022 de la Commission économique des Nations unies pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC).

Un rapport du département d'Etat américain de 2023 indique qu'environ 70% des emplois se situent dans le secteur informel, des travailleurs qui n'ont donc pas accès aux prestations de santé et de retraite de l'Etat.

"Les problèmes du pays dépassent largement la question de la sécurité", juge Ana Maria Mendez Dardon, directrice pour l'Amérique centrale du Bureau de Washington sur l'Amérique latine. "En termes d'emploi, d'éducation et autres, il n'y a eu aucune amélioration".

Objectif croissance

M. Villalona pointe une dette publique d'environ 80% du PIB et l'incapacité du pays à vendre des obligations à l'étranger pour lever des fonds, ou à attirer des investissements.

A l'inverse, le gouvernement a dû emprunter auprès d'organisations internationales ainsi qu'auprès de sa propre Banque centrale et du fonds de pension national, ce qui a encore creusé le déficit.

Avec moins d'argent en circulation, "la capacité de consommation diminue" et M. Villalona ne voit "pas de solution à court terme".

Le pays négocie avec le Fonds monétaire international (FMI) un prêt d'environ 1,3 milliard de dollars. Mais M. Villalona explique que Bukele tente d'esquiver les conditions du FMI de réduction des dépenses publiques et d'augmentation des taxes sur la consommation, "car cela a un coût politique".

Selon le département d'Etat américain, si l'état d'urgence en vigueur depuis mars 2022 "contribue à l'amélioration de la confiance des consommateurs et à l'optimisme économique", cela ne s'est "pas encore traduit" par des investissements étrangers significatifs. En partie car "la confiance dans le gouvernement s'est affaiblie" et que la corruption reste "un défi".

Pour tenter de revitaliser l'économie dollarisée et dépendante des envois de fonds de l'étranger (21% du PIB), M. Bukele a fait en 2021 du bitcoin une monnaie officielle, malgré les avertissements sur l'extrême volatilité de la cryptomonnaie par le FMI et la Banque mondiale qui demandent son retrait.

Le PIB au troisième trimestre 2023 a augmenté de 2,8%, et le FMI prévoit une croissance de 1,9% pour 2024.

Selon M. Acevedo, ancien gouverneur de la Banque centrale, aujourd'hui analyste, seule la croissance économique, au moins au niveau de la moyenne centraméricaine (2,6 à 3,5%), peut "s'attaquer efficacement à la pauvreté".

Et sans investissement social, "la question des gangs ou d'un (phénomène) équivalent réapparaîtra à moyen terme", prévient-il.

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