Au procès de Rédoine Faïd, Alima A., logeuse de "fugitifs"

Une nuit de septembre 2018, Alima A. entend des voix dans son salon. Elle se lève. A côté d'Ishaac, l'ami qu'elle héberge, se tient un homme qu'elle reconnaît "directement": sa tête était partout à la télévision...

Croquis d'audience de Rédoine Faïd à l'ouverture de son procès devant la cour d'assises de Paris, le 5 septembre 2023 © Benoit PEYRUCQ
Croquis d'audience de Rédoine Faïd à l'ouverture de son procès devant la cour d'assises de Paris, le 5 septembre 2023 © Benoit PEYRUCQ

Une nuit de septembre 2018, Alima A. entend des voix dans son salon. Elle se lève. A côté d'Ishaac, l'ami qu'elle héberge, se tient un homme qu'elle reconnaît "directement": sa tête était partout à la télévision. C'est Rédoine Faïd, en cavale depuis son évasion.

Ishaac Herizi était un "ami d'enfance", un "petit frère", se rappelle à la barre cette femme de 33 ans en jeans gris, chemise blanche, cheveux lissés.

Elle sait qu'il est le neveu du braqueur multirécidiviste, mais ils n'en ont jamais vraiment parlé, même depuis que Rédoine Faïd a fait les gros titres en s'évadant par hélicoptère de la prison de Réau (Seine-et-Marne) en juillet 2018. A Creil (Oise), où elle habite et d'où est originaire le fuyard, Ishaac Herizi est déjà "bombardé de questions", elle ne veut pas en rajouter.

Cette nuit de septembre, il est environ 03H00 du matin. Dans le salon, Ishaac Herizi ne "dit rien". C'est Rédoine Faïd qui s'adresse à elle, une arme à la main. "Il me dit +perds pas la boule+", décrit-elle jeudi devant la cour d'assises de Paris.

"Qu'est-ce que vous avez compris ?", demande la présidente Frédérique Aline. "Que j'avais pas le choix."

Pendant près d'un mois, Alima A. continue sa vie d'agente d'accueil à l'aéroport du Bourget, rentre tard le soir dans son 50 m2 pour y trouver l'ami qui l'"a trahie" et Rédoine Faïd dont l'arme n'est jamais loin. 

Il y a aussi "un vieux papi", "mal en point" parce qu'il n'a pas ses médicaments pour le diabète. Dans le box, Rachid Faïd, 65 ans, grand frère de Rédoine, apprécie.

De temps en temps, le braqueur en cavale donne à Alima A. un message écrit sur un bout de papier et un téléphone, lui demandant d'aller envoyer un texto pour lui, loin de l'appartement. 

Une fois, elle achète des produits décolorants. Rédoine Faïd a déjà une perruque, mais il veut se teindre la barbe.

Pénible

Après avoir d'abord bénéficié d'un non-lieu, les juges ont finalement considéré qu'Alima A. avait bien aidé les fuyards sans jamais avoir été "menacée". Elle est donc accusée à ce procès.

"Un fugitif, ça fait peur", se défend-t-elle devant la cour, visiblement encore éprouvée. "Je connais pas Rédoine Faïd, ses amis, son entourage. Je sais pas ce qui va se passer ensuite".

Elle dit s'être raccrochée à un espoir: "Ils vont bien finir par partir". 

Tous seront arrêtés dans l'appartement début octobre 2018, après un tuyau sur une silhouette masculine vue dans Creil sous une burka. Couleur "violette" pour Rédoine Faïd, confirme Alima A. 

De l'ambiance pesante du huis clos qu'elle décrit dans cet appartement, on retient que le braqueur crie beaucoup. "Ingrat", dira de lui son neveu, selon l'accusée.

"J'étais en cavale, j'étais extrêmement tendu", justifie plus tard Rédoine Faïd. "J'étais odieux, dur, pénible à vivre".

Plus embêtant pour ses coaccusés, Alima A. soutient aussi qu'Ishaac Herizi lui a confié qu'il était "dans l'hélicoptère". C'est aussi la thèse des enquêteurs. "Serré comme des sardines" avec les autres membres du commando, il aurait même "donné un coup au pilote" pris en otage. "Ça ressemble pas à Ishaac", selon elle. 

La présidente fait se lever l'accusé de 32 ans, silhouette fine dans un pull bordeaux, petit chignon, ton réservé. "Elle était en état de choc, elle pleurait à chaudes larmes", avance-t-il. "Je lui ai juste dit que j'étais dans cette merde", corrige le jeune homme qui a reconnu plus tôt à l'audience avoir été à l'époque secrètement amoureux d'Alima A.

Elle est "traumatisée", elle "exagère", balaient aussi tour à tour Rédoine et Rachid Faïd.

Plus tôt, la présidente avait interrogé Alima A. sur la vidéosurveillance de la prison de Réau, diffusée au début du procès. On y voit un homme encagoulé, armé d'une Kalachnikov, faire les 100 pas en montant la garde. Les enquêteurs pensent que c'est Ishaac Herizi. 

"Honnêtement, Ishaac, il a un tic", lâche Alima A. Dans le box, les visages se figent un instant. 

"Il est constamment sur la pointe des pieds. Et là, le monsieur sur la vidéo, pas une seule fois il a levé les pieds."

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