Argentine: "Il faut encaisser...", un degré de stoïcisme face à l'austérité qui vient

L'inflation n'a pas attendu les mesures d'austérité de la présidence Milei pour s'envoler, mais dévaluation du peso et libération des prix lui promettent déjà un nouveau coup de fouet. Pour autant, plus d'un Argentin se préparait mercredi à "encaisser"...

Le ministre argentin de l'Economie, Luis Caputo, à la télévision dans un bar de Buenos Aires lors de l'annonce des nouvelles mesures économiques du gouvernement du président Javier Milei, le 12 décembre 2023 © Luis ROBAYO
Le ministre argentin de l'Economie, Luis Caputo, à la télévision dans un bar de Buenos Aires lors de l'annonce des nouvelles mesures économiques du gouvernement du président Javier Milei, le 12 décembre 2023 © Luis ROBAYO

L'inflation n'a pas attendu les mesures d'austérité de la présidence Milei pour s'envoler, mais dévaluation du peso et libération des prix lui promettent déjà un nouveau coup de fouet. Pour autant, plus d'un Argentin se préparait mercredi à "encaisser" quelques rudes mois dans l'espoir "d'en sortir mieux".

Une pleine poignée d'étiquettes en main, Maria Mamani s'apprête, pour la énième fois cette année, à parcourir les rayons de son petit supermarché de Recoleta, dans le nord de Buenos Aires, pour actualiser, un à un, les prix.

"Après les mesures annoncées par le gouvernement (mardi), on augmente les prix. Plein de produits ont déjà commencé à exploser, et malheureusement cela pourrait durer six à 12 mois", explique-t-elle à l'AFP.

Dans une autre supérette du quartier, Miguel, le gérant qui refuse de donner son nom, s'excuse presque : les prix viennent juste d'arriver des grossistes, avec des hausses allant de 20 à 60%, et "on est obligé de les répercuter sur les clients. Il n'y a pas le choix. Et la semaine prochaine ça augmentera encore", prédit-il.

Passer quelques mois durs

De la brutale dévaluation de 50% du peso à la réduction (à partir de janvier) des subventions publiques aux transports, à l'énergie, ou les coupes dans le budget de l'Etat, les mesures annoncées mardi par le gouvernement de l'ultrallibéral Javier Milei, investi dimanche, visent toutes à équilibrer les comptes et stabiliser à terme la troisième économie d'Amérique latine, qui, selon le nouveau ministre de l'Economie Luis Caputo, était "en thérapie intensive et sur le point de mourir".

Mais elles ont aussi en commun de mordre, férocement, dans un pouvoir d'achat déjà rogné depuis longtemps : l'inflation dont hérite le nouveau gouvernement atteint 160,9% en interannuel, selon le dernier indice publié mercredi.

Décembre sera pire, janvier pire encore et ce "pour quelques mois", a prévenu le ministre, tandis que les prix digèrent la dévaluation et se "libèrent" de facto, avec la fin des accords d'encadrement, au succès relatif, du gouvernement sortant.

"Clairement, ça va être compliqué pour tout le monde, parce qu'on arrive déjà difficilement à boucler les fins de mois", grince Camila Heig, 18 ans, qui comme nombre d'Argentins cumule les boulots pour s'en sortir. Trois dans son cas.

"On va devoir endurer, passer quelques mois durs. Mais bon, il faut espérer que le pays va en sortir mieux", dit-elle.

Très vite, en janvier, des millions se verront affectés dans leur quotidien par la réduction des subventions aux transports, un réseau dense et fonctionnel de plus de 300 lignes de bus, métro, trains urbains, qui fait l'orgueil du grand Buenos Aires. Pour un prix jusqu'ici dérisoire de 80 pesos (10 centimes d'euro) le ticket de métro, ou en moyenne 65 pesos (7 centimes) le ticket de bus.

"J'étais furieux en apprenant les hausses à venir, mais tôt ou tard fallait que ça arrive, ils allaient supprimer les subventions", se résigne Sebastian Medina, agent postier de 48 ans, dans une file d'attente de son bus à la gare centrale de Retiro.

"J'ai vu sur internet que (le ticket) pourrait aller jusqu'à 700 pesos. Mais personne n'a rien dit", gémit-il. 

On savait

"Ca va énormément impacter les gens", abonde à ses côtés Ryan Gimenez, 27 ans, "mais on savait que ça allait venir. Et il fallait qu'il se passe quelque chose".

Cette touche de résignation ou de stoïcisme, cette disposition à accepter, pour un temps au moins, la dureté au nom du "changement", pour en finir avec une crise sans fin, était palpable déjà dans la foulée de l'investiture de Milei dimanche. 

C'est elle qui permettait au ministre Caputo mardi soir de parler d'opportunité "historique", car en votant massivement pour un président qui promettait l'austérité, les Argentins ont démontré "qu'ils ont compris qu'il n'y a plus d'argent" dans les caisses.

Combien de temps supporteront-ils de voir "dynamiter leur pouvoir d'achat", a tonné le plus grand syndicat du pays, la CGT, qui a dénoncé que ce n'est pas "la caste politique" tant décriée par le candidat Milei mais "le peuple qui va payer l'ajustement". 

Les annonces d'austérité, qui ont vu en parallèle le renforcement d'aides aux plus vulnérables (allocations familiales, bons d'achats alimentaires) passeront un premier "test de la rue" les 19 et 20 décembre, avec les mobilisations commémorant la "Grande crise" traumatique de 2001.

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