Alerte rouge sur les défaillances d'entreprises
Les représentants de syndicats patronaux qui font face à une hausse des défaillances d'entreprises s'inquiètent des choix budgétaires de l’État, qui, estiment-ils, vont alourdir leurs charges. Témoignages, lors d'une table ronde de la délégation aux entreprises du Sénat.

« Alerte
rouge »
prévient Olivier
Rietmann, président
de la délégation aux entreprises
du Sénat, organisatrice d'une table-ronde consacrée aux
défaillances d'entreprises, tenue au Sénat le 6
février et transmise en ligne. Tous les indicateurs économiques
vont
dans le même sens. Depuis
début 2024 on dénombre plus de 3 200 suppressions de postes par
semaine, selon l'AGS, le régime de garantie des salaires qui assure
le versement de ces derniers lorsque les entreprises faisant l'objet
d'une
procédure collective ne sont pas en mesure de le faire. Autre
chiffre inquiétant :
65 175 procédures collectives ont été ouvertes en 2024 (pour
l'essentiel concernant des structures de moins de 10 salariés)
contre 51 350 en 2019, d'après le Conseil national des
administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires. Le
cabinet d'études Altares,
lui, estime que le seuil des 67 000
jugements
a été dépassé en 2024.
Ces
dernières évolutions s’inscrivent dans une histoire particulière.
En effet, ces cinq
dernières
années, le nombre de défaillances a connu un « profil
d'évolution très anormal »,
contextualise Émilie Quéma, directrice des entreprises de la Banque
de France. Durant la décennie 2010-2019, la moyenne était
d'environ 59 000 défaillances par an. L'épisode du Covid a ouvert
un cycle inédit qui a débuté par une baisse des défaillances
dues au ralentissement de l'activité des tribunaux de commerce et
aux aides de l’État. Puis, après un point bas atteint en octobre
2021 (27 582
défaillances
sur un an), le nombre de défaillances a progressivement remonté
jusqu'à retrouver
son niveau pré-Covid,
au printemps dernier. Mais ces derniers mois, ce niveau a été
dépassé. Fin 2024, les défaillances ont atteint un point haut
historique (65 764 sur un an, d'après les données provisoires de la Banque de
France).
Autre
constat, poursuit Émilie Quéma, « au
début de la remontée des défaillances, globalement, toutes les
tailles d'entreprises ont été touchées. En revanche, on constate
que sur la période plus récente, des structures de plus grande
taille, de grosses PME, des ETI, et de grandes entreprises sont
davantage touchées qu'auparavant ».
En 2024, 63 ETI et grandes entreprises, sont entrées en défaillance,
contre 33 en moyenne annuelle durant la période pré-Covid.
« Ces
défaillances qui interviennent sur des structures de plus grosse
taille et qui sont plus nombreuses ont par conséquent des impacts
plus élevés sur l'économie »,
souligne
Emilie
Quéma.
Parmi
les explications de cette hausse, la Banque de France avance un
mouvement de rattrapage post-Covid.
Quelque 50 000 défaillances
auraient
été évitées entre 2020 et 2021. Elles finissent par advenir.
« La plus grande erreur qu'on ait pu faire »
Le
témoignage des représentants de deux syndicats patronaux, CPME,
Confédération des petites
et moyennes
entreprises
et METI, Mouvement des entreprises de taille intermédiaire,
confirme l'intensité des difficultés dont les statistiques mesurent
l'étendue.
Amir Reza-Tofighi, président
de la CPME évoque la longue période « multi-crises »
traversée par les entreprises, qui se poursuit aujourd'hui encore,
avec la nécessité de rembourser les PGE, prêts garantis par
l’État, les changements dans les modes de consommation...
En matière d'énergie, « beaucoup d'entreprises ont
encore le couteau sous la gorge à cause de contrats
signés fin 2022, avec des prix complètement décalés »,
ajoute Frédéric
Coirier, co-président du METI.
Lui voit arriver « une
catastrophe dans l'immobilier, le bâtiment. Ce
n'est pas encore dans les comptes, mais ça va être terrible sur
2025 et 2026. (…) Nous voyons aussi que
le secteur automobile se durcit considérablement. Parmi nos
PMI, beaucoup de sous-traitants de la chaîne automobile subissent à
la fois un changement brutal de modèle et une crise économique de
volume, avec une concurrence chinoise qui déferle ».
Dans
ce contexte, les deux représentants des syndicats patronaux portent
un regard critique sur les politiques publiques vis-à-vis de la
concurrence étrangère et des contraintes normatives qui
s’appliquent
aux entreprises françaises en matière environnementale.
« Nous avons une habitude, celle d'imposer beaucoup de
contraintes aux producteurs français et d'accepter d'importer des
produits qui ne les respecte pas. Je pense que c'est la plus grande
erreur qu'on ait pu faire », résume Amir
Reza-Tofighi.
Quant au projet de loi de Finances 2025 du gouvernement Bayrou, « le fait qu'il soit adopté est tout de même important. L'incertitude, il n'y a rien de pire pour les chefs d'entreprise. Nous avons besoin de visibilité, de prévisibilité », commente Frédéric Coirier, rappelant que six ETI sur 10 ont mis leurs investissements sur pause. Pour autant, le texte ne rassure pas. Frédéric Coirier admet « une très grande inquiétude ». Pour lui, par exemple, trop de mesures viennent augmenter le coût du travail. Par exemple, des exonérations de cotisations salariales dont bénéficie la rémunération des apprentis ont été réduites. Les Régions auront la possibilité de prélever sur les entreprises d’au moins 11 salariés un versement destiné au financement des services mobilité , dans la limite de 0,15% des salaires... En outre, l'augmentation de la fiscalité sur le capital constitue un « sujet d'attention », met en garde Frédéric Coirier. Et le nouveau président de la CPME se déclare « étonné » d'entendre des discours politiques affirmer que les entreprises doivent payer plus pour rembourser la dette de la nation « dans un pays où les prélèvements obligatoires sont parmi les plus élevés au monde, où le coût du travail l'est aussi.. On a le sentiment d’être déjà fiscalement très très imposés ».