Affaire Bétharram: Alain Esquerre, l'homme seul qui réunit toutes les victimes

Adolescent, "il voulait servir Dieu". Aujourd'hui, Alain Esquerre, homme seul et révolté depuis toujours, incarne le combat des plus de 150 victimes de violences, agressions sexuelles et viols commis pendant...

Alain Esquerre, à Lestelle-Betharram le 3 mars 2025 © Gaizka IROZ
Alain Esquerre, à Lestelle-Betharram le 3 mars 2025 © Gaizka IROZ

Adolescent, "il voulait servir Dieu". Aujourd'hui, Alain Esquerre, homme seul et révolté depuis toujours, incarne le combat des plus de 150 victimes de violences, agressions sexuelles et viols commis pendant plusieurs décennies à Bétharram (Pyrénées-Atlantiques). 

Jeudi, en tant que porte-parole de ces victimes, il sera entendu à l'Assemblée nationale par la commission d'enquête parlementaire sur le contrôle des établissements scolaires, puis rencontrera la ministre de l'Education Elisabeth Borne, à qui il présentera un projet d'office national chargé de superviser les collèges-lycées dotés d'internats. 

Avec la création, en octobre 2023, d'un groupe d'anciens élèves victimes de l'établissement catholique privé béarnais, Alain Esquerre a ouvert une boîte de Pandore. Lui se voit comme un lanceur d'alerte. Mais Pascal Gélie et Frédéric (ce dernier n'a pas souhaité donner son nom), deux membres du collectif des victimes, le décrivent plutôt comme un "révolté", un "petit gars modeste et solitaire du Béarn en train de changer les choses".

"Je savais au fond de moi depuis toujours que j'allais faire ma vie tout seul", avoue Alain Esquerre, qui a renoncé à sa vocation de prêtre, mais en a gardé l'allure: visage fin surmonté de lunettes rectangulaires, éternelle chemise dont le col dépasse sur son pull.  

A 53 ans, celui qui travaille comme responsable régional d'une association d'aide aux aveugles expérimente enfin la "communauté", "l'esprit de camaraderie" qu'il aurait "tellement aimé vivre" enfant.

Il se souvient avoir été "admiratif" du courage d'enfants "qui prenaient des coups d'adultes". "Ils avaient parfois la lèvre ouverte, le nez en sang et ils ne baissaient pas le regard, ils tenaient tête, l'air de dire +Tu ne me briseras pas+". 

30 ans de combat

Le 15 février, sa voix se casse à l'évocation des récits des victimes, après une rencontre à Pau avec le Premier ministre François Bayrou. Mais de cette journée, il retient surtout un coup de fil de deux heures, reçu le soir, d'un ancien élève qui le harcelait à Bétharram.

"Ça a été un moment extrêmement intense parce que j'ai découvert que ce fils de notable avait été abusé pendant deux ans. J'entends un homme de mon âge me dire +J'ai une femme, j'ai des enfants, mais j'ai fait une tentative de suicide à 17 ans et je ne sais pas ce que veut dire le mot bonheur+. On a fondu en larmes et je lui ai demandé pardon de lui en avoir voulu pendant des décennies".

A l'automne 2023, il croise l'ancien surveillant général de Bétharram, aujourd'hui mis en examen pour "viol aggravé" et "agression sexuelle aggravée", encore en poste dans l'établissement. "Je l'avais déjà vu, mais jamais en compagnie d'élèves de 10 à 12 ans".

L'ancien élève reprend alors son combat contre l'institution entamé quand il étudiait le droit. En 1996, il accompagne la famille d'un enfant giflé qui a perdu 40% de son audition; en 1998 et 2000, il dénonce dans la presse locale "les pratiques moyenâgeuses de l'institution". 

Mais quand il crée le groupe Facebook, en 2023, il se demande s'il est "capable de porter ce dossier" dont il n'imaginait pas "l'étendue de la monstruosité".  

Nettoyer les écuries

"Dès le début, il a pressenti ce qu'allait devenir l'affaire et il s'est senti investi d'une mission", analyse Frédéric. "Il symbolise tout ce qu'on n'a pas pu faire pendant toutes ces années."

"Le petit Esquerre, il était mignon et gentil, et aujourd'hui c'est lui qui terrasse le colosse, c'est très biblique", considère Pascal Gélie, qui voit en lui "une icône de la révolte des enfants martyrisés et abusés". 

Toute sa vie, Alain Esquerre a habité à 700 mètres de l'institution, où il est entré en CM1. Il est d'ailleurs resté "un enfant de Bétharram" et rend régulièrement visite à "des amis" à la maison de retraite des pères de Bétharram.

"Très paradoxal", convient celui qui a lu chaque récit et parlé à chaque victime, avant de transmettre à la justice les 152 plaintes enregistrées à ce jour. Une autre forme de sacerdoce. 

"C'est sale, ça fait mal aux tripes, mais il faut nettoyer les écuries. Il faut bien que quelqu'un s'y attelle", assène-t-il. En seize mois, le chemin parcouru est à la fois "énorme" et "pas grand-chose". "Notre combat est ferme et déterminé. Nous participons à l'histoire en direct".

374T3KD