A Villeurbanne, le désarroi d'un quartier "Place nette" où la drogue revient

Les fusillades ont cessé mais le narcotrafic a repris: devant une école élémentaire du Tonkin à Villeurbanne (Rhône), des mamans attendent leurs enfants, ignorant soigneusement les...

Le quartier du Tonkin, à Villeurbanne (Rhône), le 18 octobre 2024 © Alex MARTIN
Le quartier du Tonkin, à Villeurbanne (Rhône), le 18 octobre 2024 © Alex MARTIN

Les fusillades ont cessé mais le narcotrafic a repris: devant une école élémentaire du Tonkin à Villeurbanne (Rhône), des mamans attendent leurs enfants, ignorant soigneusement les jeunes qui dealent juste en face.

Dans ce quartier résidentiel frontalier de Lyon, près d'un an après une série de fusillades liées au trafic de stupéfiants, cannabis et cocaïne circulent à nouveau, malgré d'importants moyens policiers investis au printemps, déplorent riverains et autorités, qui attendent des renforts promis par le ministère de l'Intérieur.

"Il y a eu un très gros soulagement dans tout le quartier pendant plusieurs mois. Mais depuis septembre, on a l'impression d'être abandonnés à nouveau", soupire Tristan, qui habite le Tonkin depuis une quinzaine d'années.

Par rapport à d'autres quartiers dits sensibles où l'action de la police est plus compliquée, "dans un quartier comme le nôtre", qui est "mixte", "ouvert", bien "desservi", "par contraste, on a l'impression que l'État est vraiment très faible", ajoute ce père de famille qui souhaite garder l'anonymat.

Avec ses voisins, il a monté il y a quelques années le collectif Tonkin pai(x)sible pour confronter les dealers qui avaient investi sa résidence, un bâtiment moderne bordé d'agréables espaces verts.

Jouxtant le parc de la Tête d'or, le quartier dispose de parcs pour enfants, d'un tissu associatif dynamique et de restaurants où déjeunent des cadres en costume. Parallèlement, il génère à lui seul la majorité du trafic de stupéfiants de Villeurbanne, qui compte 160.000 habitants et 23 points de deal au total, selon la police.

Décomplexé

Bien desservi, "sa centralité facilite le trafic de stupéfiants", estime la directrice de la sécurité de Villeurbanne, Nathalie Chaptal. Pour le client, "c'est ironiquement un sentiment de sécurité d'aller faire son marché là-bas", dit-elle.

Le trafic "est devenu complètement décomplexé, avec des fauteuils installés sous des caméras de surveillance", s'exaspère Sylvie Orkisz, professeure de français résidant depuis trente ans au Tonkin, dénonçant un "marché de la drogue à ciel ouvert".

"De temps en temps, je retrouve des anciens élèves sur les points de deal. Ça me déchire le cœur" se désole l'enseignante de 58 ans, qui mène avec Tonkin pai(x)sible des actions pour nettoyer les points de deal et manifester leur désaccord directement aux dealers.

Elle assure que "la plupart du temps, les choses se passent plutôt bien (...) C'est un discours qui les touche parfois, quand on vient dire qu'on aimerait tellement mieux pour vous", ajoute Mme Orkisz, qui confie néanmoins avoir déjà été menacée. 

"Suite au Covid, on a eu des guerres de territoire (...) et on a eu les premiers tirs à l'été 2020", se souvient le maire (PS) de Villeurbanne,  Cédric van Styvendael, qui dit "avoir fait de la sécurité une priorité de son mandat".

En novembre 2023, les projecteurs ont été braqués sur le quartier après une série de trois fusillades en une semaine, dont deux en plein jour à proximité d'écoles, et qui ont fait un blessé aux jambes. 

Deux opérations "Place nette", en novembre 2023 puis en mars 2024, ont permis de "neutraliser" plusieurs points de deal, a indiqué à l'AFP le commissaire divisionnaire Eric Debeugny.

Pour assurer une présence sur les points de trafic, une force mobile est restée déployée quasi quotidiennement jusqu'aux Jeux olympiques, puis le dispositif a dû être réadapté faute de disponibilité. 

98 opérations policières

Entre janvier et mi-septembre, 98 opérations de police ont permis la saisie de quelque 6 kg de résine de cannabis, 2 kg d'herbe, 1 kg de cocaïne, et 15g d'héroïne. Cent dix personnes ont été placées en garde à vue, dont 22 ont été déférées.

"Mais ce qu'on a toujours senti, c'est une volonté (des dealers) de se remettre en place", regrette M. Debeugny, et une volonté de se réorganiser, notamment avec de la livraison.

"On est dans l'attente de la création d'une unité qui avait été annoncée par le ministre Darmanin", indique M. Debeugny, assurant ne pas avoir d'inquiétude. 

Lors d'un déplacement à Villeurbanne en mars, l'ex-ministre de l'Intérieur avait annoncé la création d'une "brigade de sécurité territorialisée" pour le Tonkin, que le maire de la ville réclame aujourd'hui à son successeur, Bruno Retailleau.

"On a fait un certain nombre d'aménagements sur les espaces de proximité, sur l'éclairage, sur la sécurisation des écoles", indique l'élu, précisant qu'un passage entre deux points de deal sera bientôt fermé et que les caméras de vidéosurveillance auront été multipliées par quatre durant son mandat.

"C'est un quartier qui est qualitatif, sur lequel on a encore du répondant citoyen (...) Mais vu la prégnance du trafic de drogue, si les gens lâchent l'affaire, nous, tout seuls, ce sera encore plus difficile", reconnaît l'élu.

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