A Nanterre un an après Nahel, "comme si on ne faisait pas partie de la France"

Sur un mur du quartier populaire Pablo-Picasso, à Nanterre, Mohessine et ses amis ont peint une fresque en hommage à Nahel. Un an après, racontent-ils, il arrive que les policiers les...

Mohessine (d) et Ryan Lazhar (g) devant la fresque peinte par eux et des amis en hommage à Nahel dans le quartier populaire Pablo-Picasso, le 6 juin 2024 à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine © Geoffroy VAN DER HASSELT
Mohessine (d) et Ryan Lazhar (g) devant la fresque peinte par eux et des amis en hommage à Nahel dans le quartier populaire Pablo-Picasso, le 6 juin 2024 à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine © Geoffroy VAN DER HASSELT

Sur un mur du quartier populaire Pablo-Picasso, à Nanterre, Mohessine et ses amis ont peint une fresque en hommage à Nahel. Un an après, racontent-ils, il arrive que les policiers les plaquent contre l'oeuvre lors de contrôles d'identité.

Allégorie d'un quartier où la vie a continué, après le meurtre de cet adolescent tué par un policier lors d'un contrôle le 27 juin 2023, avec les mêmes difficultés au quotidien, déplorent habitants et associations.

Mohessine Charkaoui, 27 ans, était un "ami proche de Nahel". Avec quatre amis, il a créé cette fresque, reflet de la vie quotidienne ici: le kebab, le café, les motocross, l'esplanade ensoleillée au pied des célèbres tours Nuages. 

S'y superposent des images plus sombres: la marche blanche, une voiture brûlée, la chambre désespérément vide de l'adolescent où trônent casques de moto et drapeau du PSG. 

"Grâce à la fresque, on a montré qu’on était détenteurs de talents, (...) bouger quelques petites briques, et à la fin ça fait un mur", s'enthousiasme Mohessine.

Il est de ceux que le drame a révélé, lui qui a créé une association sportive et s'est impliqué dans la vie déjà bouillonnante de son quartier après la mort de Nahel et les émeutes qui ont suivi. 

"Tous les jeunes du quartier le connaissent et le suivent", résume Loubna Benazzi, interrogée dans les locaux d'Authenti-cité, à deux pas de la fresque. 

Créée en 1993, cette association qu'elle dirige depuis six ans s'active pour pallier les manquements de l'Etat, explique-t-elle: elle assure notamment du soutien scolaire pour une centaine de jeunes par an et fournit des colis alimentaires à 250 familles. 

Depuis les émeutes, assure Loubna Benazzi, rien n'a changé "et avec 100.000 euros de budget (...), on lutte: on a de la chance que les subventions ne baissent pas, mais elles n'augmentent pas non plus".

Séquelles

A ces difficultés s'ajoutent les séquelles encore visibles des émeutes. "Les routes ne sont pas complètement réparées, on a perdu le centre des impôts sur l’avenue Georges-Clémenceau", déménagé à la préfecture, note la directrice. 

"Les dégâts lourds sur les bâtiments prennent nécessairement plus de temps, notamment en raison des expertises (...) à mener", justifie la mairie, invoquant des assurances "qui ne jouent pas vraiment le jeu".

Parmi les bâtiments municipaux, quatre ont subi de lourds dégâts, six autres des dégradations, pour un coût estimé de 5,2 millions d'euros, détaille la municipalité DVG.

Autre sujet de préoccupation dans cette ville populaire des Hauts-de-Seine: la présence policière, qu'elle soit mise sur le compte du passage de la flamme olympique fin juillet, des opérations anti-drogue "Place nette" ou des émeutes.

"Depuis Nahel, c'est encore pire", déplore Khadija Kammour, bénévole d'Authenti-cité. 

Cette visibilité sur le terrain complique le travail des éducateurs spécialisés, notent ces derniers. 

"J'ai l'impression que les jeunes sont moins ouverts à échanger et un peu plus méfiants", témoigne Damien Henique, ex-éducateur et chef de service de l'association Les 4 Chemins à Nanterre.

Il y a pourtant une "volonté de la ville" d'avoir "des politiques plus favorables sur les jeunes des quartiers", estime sa présidente Joëlle Vasnier, qui rappelle que le label "Cité éducative" réunissant les acteurs de l'éducation du quartier bénéficie d'un financement d'1,29 million d'euros sur trois ans. 

"Mais ce n'est pas magique, les problématiques sont tellement multiples", nuance-t-elle. Globalement, la santé mentale des jeunes, dégradée depuis le Covid, s'est par exemple encore détériorée après la mort de Nahel. 

"Des éducateurs ont raconté avoir vu des très jeunes sangloter les soirs des émeutes, ça a été un bouleversement intérieur énorme", se souvient-elle.

Transformer la colère

Face à ce désarroi, la réponse essentiellement sécuritaire du gouvernement aux troubles de l'été dernier n'a pas convaincu la population du quartier. 

"C'est comme si on ne faisait pas partie de la France", s'indigne Amira Berrah, se souvenant des accusations visant les "parents démissionnaires", lors d'une réunion au Centre social P'Arc en Ciel.

Cette mère de famille y retrouve régulièrement le Collectif des femmes du quartier du Parc-Sud, créé par des habitantes après les émeutes. Ensemble, elles ont dressé une liste de 47 propositions pour "transformer la colère en quelque chose de constructif", avec l'éducation comme priorité. 

Ce document, désormais entre les mains d'élus, demande notamment la fin de la "discrimination par le réseau", qui freine la recherche de stages pour les jeunes du quartier. Il pose aussi la sempiternelle question de leur relation à la police.

"Je ne sais pas par quel bout il faut prendre le problème", souffle Fatiha Abdouni, autre membre du collectif et ex-directrice de l'association Les mamans des Pablo. 

Mme Berrah se lève pour aller chercher ses enfants à l'école. Elle qui n'a "jamais (été) élevée dans le mépris de la police", le sujet la préoccupe: son fils aîné entre dans l'adolescence et ses inquiétudes grandissent.

"Ce n'est pas normal qu'en tant que citoyen français aujourd'hui, on puisse se dire +peut-être que mon enfant sera une cible+", s'émeut-elle. 

"Même si je lui donne toute l'éducation nécessaire, même si je n'ai pas certaines difficultés", liste-t-elle, "je sais que mon fils pourrait être un Nahel".

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