Territoires
À Metz, les Assises des Travaux Publics rappellent la part prépondérante du secteur dans l'enjeu climatique
Les Assises des Travaux Publics se sont déroulées au Cescom Metz Technopôle. Au centre des débats, le financement des infrastructures. Un sujet majeur dans le contexte où le gouvernement fixe la cap vers une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) au niveau national. L’impact des infrastructures dans la transition écologique et énergétique prend tout son sens. En Moselle, deux exemples vertueux en la matière sont à mettre en exergue, sur les périmètres thionvillois et naboriens.
Dans ses propos introductifs aux Assises des Travaux Publics, à Metz, Thierry Ledrich, président de la FTP Lorraine, cadrait bien l’enjeu du moment : «Cette année, nous nous retrouvons autour d’un thème qui peut apparaître comme un grand classiques dans nos milieux : le financement de nos infrastructures. Mais il a cette fois une saveur très particulière car le débat qu’il recouvre est devenu à la fois global et vital, car il suppose aussi un changement psychologique et intellectuel majeur des responsables des finances publiques et des acteurs publics associés.» En 2021, le Secrétariat général à la planification écologique listait la part des secteurs d’activité quant à l’émission de gaz à effet de serre : 32 % transports, 19 % agriculture, 18 % résidentiel tertiaire, 18 % industrie, énergie 10 % et déchets 3 %.
Un colossal effort financier
Pour situer la hauteur de la barre à atteindre, il suffit de rappeler les ambitions gouvernementales. D’ici 2030, il ambitionne de réduire de quelque 50 % les émissions domestiques par rapport à 1990, pour atteindre 270 millions de tonnes équivalent CO2 par an. Soit «faire en huit ans plus que ce qu’on a fait au cours des 32 dernières années», explique Matignon. Coût, selon le Conseil économique et social : 70 Md€ d’investissements privés/publics supplémentaires par an d’ici 2030. Un défi colossal. Thierry Ledrich situait la place primordiale des Travaux Publics : «L’usage des infrastructures qui ont été construites ou sont à construire par les Travaux Publics sont à l’origine, aujourd’hui, de plus de 50 % des Gaz à Effet de Serre en France, faisant de notre secteur d’activité le secteur transversal, le secteur parapluie, qui permet à tous de s’inscrire dans la transition écologique.» On notera ici le poids carbone des différents usages des infrastructures : 42 % des émissions sont liés aux usages de la route, 41 % aux usages de gaz et 17 % aux usages des réseaux d’électricité, de chaleur et de froid, d’eau, de l’aérien, du maritime, du fluvial, du ferroviaire, des réseaux numériques. La modernisation ou l’évolution de nos infrastructures, quant à la transition écologique, représente un besoin de financement complémentaire de 20 Md€/an sur les 25 prochaines années. Presque 1 % du PIB pour revenir au niveau d’investissement dans les infrastructures des Trente glorieuses.
Faire de la transition écologique un facteur de création de richesse
Thierry Ledrich, d’interroger : «Va-t-on en rester aux seules économies dites de sobriété, comme la baisse du chauffage dans les bureaux, le recours à la marche à pied ou l’extinction des lumières… ou se teinter d’une vraie ambition ? (…) Où va-t-on trouver l’argent ? Question qui me semble à la fois légitime et d’une approche trop simpliste compte tenu des enjeux.» Le 22 mai dernier, l’économiste Jean Pisani remettait un rapport à la Première ministre, Élisabeth Borne, sur «les incidences économiques de l’action pour le climat». Pour atteindre la neutralité carbone en 2050, il conviendrait d’une dépense tous secteurs d’activité confondus de 67 Md€/an, dont 34 Md€/an pour la part État, en phase avec les chiffres de la FNTP qui se concentraient sur la seule part des Travaux Publics. Thierry Ledrich assure : «Je suis convaincu que la transition écologique, trop souvent perçue comme une seule contrainte, peut aussi être un facteur de création de richesse, en apportant de la valeur ajoutée, en créant un retour sur investissement.» Les Travaux Publics se sont engagés, autour de quatre axes prioritaires, à offrir des solutions réalistes et réalisables pour faire le chemin indispensable vers le schéma national bas carbone (SNBC) : réduction des émissions de CO2, restauration des milieux naturels, protection des infrastructures existantes et développement des ouvrages tout en répondant aux enjeux du stress hydrique croissant pour de nombreux territoires, capitaliser sur le patrimoine présent et à venir. Investir dans des infrastructures et les financer n’est pas insurmontable. Il s’agit ici de faire preuve d’inventivité, d’innovation, de bons sens, pour aller vers un vivre ensemble durable. Les collectivités peuvent emprunter de l’argent auprès de sources telles que les banques ou les marchés financiers. Dans ce cercle, on retrouve les banques de territoires, la Banque Européenne d’Investissement, la Caisse des Dépôts et des modes de financement comme le crowdfunding, la société de projet ou l’intracting.
Un effort partagé d'investissement
Ces Assises des TP au Cescom auront permis d’entendre des interventions justes et pragmatiques, par les exemples donnés et les expériences partagées. Autour de Thierry Ledrich, ont pris la parole : Thierry Dallard, ancien président du Directoire de la société du Grand Paris et ancien directeur délégué France de Meridiam Infrastructure ; Julien Freyburger, maire de Maizières-lès-Metz, 1er vice-président du département de la Moselle ; Cyril Mangin, Directeur Territorial Moselle de la Banque des Territoires ; Christophe Berghaus, président de Routes de Lorraine ; Sébastien Streiff, président de Canalisateurs de Lorraine ; Julie de Brux, associée fondatrice de Citizing Consulting. Thierry Ledrich, résumait, la philosophie qui a accompagné ces Assises : «Soyons convaincus que si nous voulons travailler à améliorer la situation, à faire progresser la condition des uns et des autres, des solutions existent. Elles imposent simplement un changement de référentiel, de paradigme, qui passera très certainement par une évolution de la commande publique et des financements associés pour libérer l’investissement.» Si le paramètre financier est évidemment déterminant, il en est un autre, à ne pas négliger : pour répondre au défi climatique, l'investissement massif dans nos infrastructures hexagonales conduiraient ) la création d'environ 400 000 emplois de façon pérenne au sein des filières concernées et dans l'ensemble du circuit économique.
Deux exemples probants en Moselle en termes d’infrastructures :
- À Thionville, si la Passerelle de l’Europe s’est vu décerner par la Fédération Nationale des Travaux Publics le prix des Victoires de l’Investissement Local en 2019, c’est parce que le projet a révélé, au travers d’une évaluation socio-économique, un intérêt tout particulier. Avant sa construction, seul le pont des Alliés reliait le centre-ville de Thionville et la gare. Sur cet axe était enregistré un trafic quotidien d’environ 15 000 véhicules, 150 vélos et 1 100 piétons. Si, à cette période, environ 3 500 voyageurs prenaient le train en gare de Thionville, il est attendu une fréquentation de 8 800 voyageurs à horizon 2028. Pour répondre à ces enjeux, la ville a envisagé la construction d’une passerelle réservée aux déplacements doux (vélos et piétons), reliant la gare et le centre-ville. Ce projet répond à de nombreux objectifs, tels que la diversification des modes de déplacements, l’amélioration de la circulation, l’augmentation de la sécurité, ainsi qu’une meilleure liaison entre le nouveau quartier de la gare et le centre-ville. Un premier bénéfice attendu est un gain économique. En effet, la modification du plan de circulation doit permettre des économies de consommation de carburant et de frais liés à l’usage automobile. Les changements opérés permettront également un gain de temps non négligeable (évaluation : 357 K€ d’économie d’usage de la voiture) Autre bénéfice : des gains sur le niveau de pollution. Ainsi, la réduction des pollutions doit s’effectuer à plusieurs niveaux : réduction des émissions de CO2, diminution de la pollution atmosphérique mais également réduction de la pollution sonore. Le projet ainsi réalisé s’inscrit totalement dans l’optique de la Transition Écologique et le rôle que peuvent y jouer les infrastructures de mobilités (évaluation : 209 K€ de gains environnementaux).
- Le Syndicat Intercommunal des Eaux de Folschviller (gestion transférée depuis novembre 2022 à la Communauté d'agglomération de Saint-Avold Synergie) investit en 2007 dans deux forages qui lui permettront de compléter sa ressource en eau. Un besoin vital, comme pour de nombreuses collectivités, mais un imprévu de taille survient : la qualité de l’eau issue des forages n’est pas compatible avec les normes en vigueur. La conséquence immédiate de cette déconvenue majeure est la nécessité d’engager de nouveaux travaux pour pouvoir résoudre la même problématique de base : amener de l’eau de qualité satisfaisante pour la collectivité. Le financement d’origine a été rendu possible par la participation de l’Agence de l’eau, ainsi que par le département. Problème majeur des suites de ces forages : le risque de devoir rembourser les subventions pour non atteinte des objectifs qualitatifs et l’impossibilité de contracter de nouveaux emprunts. Seule solution envisageable à l’époque : doubler voire tripler le prix de l’eau pour auto-financer les travaux : impensable pour les usagers. La solution qui a été apportée a tenu en un maître mot : la coopération . Coopération avec un syndicat voisin, excédentaire en eau, vers lequel il a fallu installer 3 km de conduites. Coopération avec les autorités et services compétents, avec les collectivités voisines pour trouver un nouveau point de forage. Et enfin, coopération avec le délégataire de service public qui a concédé une avance de trésorerie permettant de réaliser un nouvel emprunt bancaire et de pouvoir financer les travaux nécessaires. Si les usagers ont quand même dû être mis à contribution, la participation du délégataire privé a permis le financement du dernier volet de travaux et la baisse des coûts globaux, permettant ainsi d’éviter la mise sous tutelle financière du syndicat qui risquait la banqueroute.