A la recherche d’une nouvelle alimentation
Les aliments sans gluten ont le vent en poupe. Et ils ne sont pas les seuls produits présentés comme meilleurs pour la santé et le bien-être à avoir du succès, témoin d’une recherche des consommateurs d’une nouvelle alimentation, plus saine. Au prix de la convivialité ?
Une glace coco ou caramel beurre salé ? Oui, merci mais . . . sans gluten. Certains glaciers se sont mis à proposer des produits sans gluten, comme Grom, un glacier italien qui s’est implanté à Paris. Et il n’est pas le seul. Car la tendance sans gluten – une protéine végétale présente dans de nombreuses céréales – se développe fortement, et concerne tous types de produits alimentaires. En quelques mois seulement, en 2014, les ventes de ces produits ont bondi de 30% d’après une étude du cabinet d’études économiques, Xerfi. En effet, dans le sillage des premières marques spécialisées qui se sont développées sur ce créneau, comme Amy’s Kitchen, des distributeurs tels Picard, pour les surgelés, se sont mis sur les rangs. Mieux, les principales enseignes de la grande distribution, à l’image de Leclerc et Carrefour, sont allées jusqu’à créer leur propre marque distributeur de produits sans gluten. Des boutiques se sont également ouvertes, spécialisées sur ce créneau. Partant, une multitude de marques se sont lancées, comme Barilla, avec ses pâtes- une réussite commerciale- , mais aussi Herta et Fleury Michon, pour les jambons. Et aujourd’hui, en France, ce marché pèse environ 40 millions d’euros, d’après le magazine spécialisé LSA consommation. C’est peu dire que ces produits,à l’origine conçus pour les besoins des personnes souffrant de la maladie cœliaque ou “intolérance au gluten”, ont trouvé un public bien plus vaste. Pour l’industrie agroalimentaire, qui souffre des effets d’une concurrence des prix très vive sur les produits de base, la niche est fructueuse : la demande est forte pour ces produits qui sont vendus à des prix élevés. Barilla, par exemple, commercialise un paquet de spaghetti de même poids à 2,45 euros sans gluten, contre 1,60 euros dans sa version classique, via un même circuit de distribution.
Une assiette saine et… solitaire ? Chez les consommateurs, la tendance “no glu”, voisine avec d’autres, variées, mais qui toutes se présentent comme une alternative ou une réparation à l’alimentation issue de l’industrie agroalimentaire. Car la crédibilité de cette dernière a été sévèrement mise en cause par des scandales à répétition, comme celui de la vache folle, ou celui des plats cuisinés commercialisés comme contenant du bœuf, alors qu’il s’agissait de viande de cheval. Et aujourd’hui, manger sain semble être devenu l’objet d’une quête majeure, face au spectre de la “malbouffe”. Les Français sont méfiants vis à vis de l’industrie agroalimentaire : 60% d’entre eux estiment manquer d’informations sur la qualité des produits achetés, d’après un sondage Ipsos de 2013. Si cette défiance n’est pas la seule motivation des Français qui diversifient leur alimentation, ils sont dans tous les cas nombreux à adopter des solutions alternatives : l’an dernier, 9 Français sur dix ont consommé bio, au moins occasionnellement, constate le dernier baromètre de l’agence Bio/CSA “perception et consommation des produits biologiques”. Quant aux végétariens, s’ils ne représentent que 3% de la population, 10% des Français songeraient à franchir le cap, d’après un sondage Opinionway/ Terra Eco de janvier 2016. Résultat, une évolution de fond, et dont l’enjeu dépasse largement le contenu de l’assiette : déjà, un quart des Français déclaraient suivre un régime alimentaire particulier en 2008, d’après une étude du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie). En clair, l’alimentation devient de plus en plus une affaire individuelle.
A chacun son assiette ? Or, cette tendance se heurte à des traditions très enracinées : le repas pris en commun est considéré comme un moment privilégié de partage, familial, social ou même professionnel dans l’Hexagone, où le “repas gastronomique traditionnel” a été sacré patrimoine immatériel de l’humanité par l’Unesco. Et l’individualisation croissante des modes d’alimentation n’en est peut être qu’à ces débuts : déjà, des sites Internet américains proposent des tests “nutrigénétiques”. Ces derniers identifient des facteurs de risques liés au génome de l’individu, et, sur cette base, recommandent une liste d’aliments.
Anne DAUBREE