A l'Unité pour détenus violents de Fleury-Mérogis: yogi un jour, yogi toujours ?

Chien tête en bas, cobra, demi-pince à genoux... Professeure de yoga, Chrystel impose un rythme soutenu à ses élèves de la prison de Fleury-Mérogis (Essonne). Il ne faut surtout pas leur "laisser le...

Un détenu dans sa cellule de l'Unité pour détenus violents de la prison de Fleury-Mérogis, en Essonne, le 21 juin 2023 © Geoffroy VAN DER HASSELT
Un détenu dans sa cellule de l'Unité pour détenus violents de la prison de Fleury-Mérogis, en Essonne, le 21 juin 2023 © Geoffroy VAN DER HASSELT

Chien tête en bas, cobra, demi-pince à genoux... Professeure de yoga, Chrystel impose un rythme soutenu à ses élèves de la prison de Fleury-Mérogis (Essonne). Il ne faut surtout pas leur "laisser le temps" de "réfléchir" à leur enfermement, explique-t-elle.

Pour Montout (nom de famille modifié), 24 ans, c'est la dernière séance.

Dans quelques jours, il quittera l'Unité pour détenus violents (UDV) de la plus grande maison d'arrêt d'Europe pour purger le reste de sa peine dans un autre établissement.

Ses longues dreadlocks attachées en chignon, il asperge consciencieusement un tapis de gymnastique. 

La professeure l'interpelle:

- T'as fini ton petit ménage ?

- J'aime quand c'est propre.

Deux salutations au soleil, Montout attrape ses pieds avec aisance.

- A ta sortie de prison, tu vas faire du yoga ?

- Ouais, je vais te suivre sur Snap !

Montout a été placé à l'UDV pour avoir agressé un détenu et un agent.

Avec une poignée d'autres prisonniers considérés comme très agressifs, il y est isolé et suivi pendant six mois par une équipé dédiée. L'objectif: faire reculer son niveau de violence avant de le renvoyer parmi les autres détenus.

Moment détente

Selon l'administration pénitentiaire, 28% des personnes passées par une UDV en 2022 -il y en a dix en France- ont récidivé dans les trois mois suivant leur sortie de l'unité. La direction de Fleury y voit "une évolution encourageante".

Entre ses murs, Montout, qui a connu les barreaux dès ses 15 ans, a découvert le yoga. "Je pensais qu'on n'y faisait que des positions cheloues et des trucs de femmes, mais c'est super physique". 

Au bout d'une heure, il s'allonge en sueur.

C'est son "moment détente" de la semaine.

Habituellement, il ne dure qu'un instant. Montout se sent épié par le surveillant posté derrière la porte vitrée, qui le rappelle vite à la réalité de son incarcération.

Là, il s'abandonne, le visage tourné vers la fenêtre.

"Essaie d'accueillir tout l'espace que tu as pu créer lors de cette séance", lui souffle la professeure. "Tu vas commencer à reprendre conscience de l'endroit où tu te situes."

Le détenu se relève, un franc sourire dévoile ses dents en désordre. "Je suis pressé de sortir de l'UDV pour prendre l'air, voir des gens."

Le jeune se souvient de son arrivée dans l'unité. "Un vrai choc." Les boucliers des surveillants, les palpations et le menottage systématiques...

"Je suis passé d'un centre de détention, à Rouen, avec quatre promenades par jour et une (console de jeux) XBOX dans ma cellule à rien".

Surveillants exceptionnels

Aujourd'hui, les agents le décrivent comme un "détenu modèle". Il a même obtenu de partager son heure quotidienne de promenade avec un camarade.

Cette compagnie le distrait, mais n'embellit pas la petite cour aux murs carrelés, recouverte d'un triple grillage. "C'est comme une cage. Tu ne vois même pas le ciel."

Montout, lui, assure que l'UDV ne l'a pas changé.

"La différence ne vient pas de moi, mais des surveillants qui sont exceptionnels ici", dit-il des 17 agents affectés à la surveillance de ses dix détenus. Du sur-mesure, quand un surveillant gère habituellement près de 200 prisonniers.

Ce travail qualitatif est rendu possible, selon des témoignages d'agents à l'AFP, par les mesures de sécurité renforcées mises en place dans l'unité.

Les cellules ne sont ouvertes qu'en présence de trois agents. Les prisonniers sont démenottés progressivement et changent régulièrement de cellule.

Interrogé par l'AFP, l'Observatoire international des prisons (OIP) a alerté sur "un cercle vicieux" de la violence, alimenté par une "déresponsabilisation" des détenus qui doivent "demander l'autorisation pour tout" et être "accompagnés" pour chaque déplacement.

Ces mesures, décriées par ceux qui les subissent, sont toutefois appréciées des agents, qui se sentent assez en sécurité pour créer du lien avec des détenus qu'ils considèrent "habituellement ingérables".

A l'UDV, "j'ai commencé à me confier, à rigoler" avec les surveillants, observe Montout. "Y'a pas de corruption. Plusieurs m'ont déjà dit +Courage+... Ils ne font pas les malins, ils cherchent pas à nous achever."

Son placement semblait si bénéfique que la direction a suggéré de le prolonger de trois mois, pour approfondir le travail engagé sur sa brutalité.

La proposition n'a pas eu l'effet attendu. Montout s'est senti piégé et a décliné toutes les activités.

"Ils ne voient pas qu'à force de m'isoler, ils créent des blocages de sociabilité chez moi", s'agace-t-il auprès de l'AFP. "Quand je vais sortir de l'UDV, le premier détenu qui va vouloir me tester, je vais lâcher tous mes nerfs sur lui, je vais le défoncer."

Envolée, la sérénité du "yoga mat".

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