A Buenos Aires, une plus grande bascule dans l'extrême pauvreté

Assis sur un matelas dans un recoin de parking de Buenos Aires, Jonathan Gomez allume un brasero pour lutter contre le froid mordant de l'hiver austral. Il fait partie de ces nouveaux sans-abri de la capitale argentine dont...

Maria de los Angeles Lopez, une femme sans-abri, se réchauffe les mains sur un brasero dans une rue de Buenos Aires, le 10 juillet 2024 © ALESSIA MACCIONI
Maria de los Angeles Lopez, une femme sans-abri, se réchauffe les mains sur un brasero dans une rue de Buenos Aires, le 10 juillet 2024 © ALESSIA MACCIONI

Assis sur un matelas dans un recoin de parking de Buenos Aires, Jonathan Gomez allume un brasero pour lutter contre le froid mordant de l'hiver austral. Il fait partie de ces nouveaux sans-abri de la capitale argentine dont 16% des habitants ont basculé dans l'extrême pauvreté.

Il a travaillé dans la restauration et le bâtiment jusqu'à l'année dernière, mais les emplois se sont raréfiés et sa vie s'est effondrée. "Je ramasse des cartons mais même ça, ça devient de plus en plus compliqué", explique l'homme de 30 ans à l'AFP.

Deux boîtes de conserve et un briquet sont sa cuisine de fortune, et un chariot rempli de divers objet est tout ce qu'il possède. "On a des couvertures et on se fait ds câlins pour se réchauffer", ironise-t-il en serrant dans ses bras sa compagne, Maria de los Angeles Lopez, 33 ans, qui se présente comme "femme au foyer".

Ils sont pour l'instant tolérés sur ce bout de trottoir à deux pas des luxueux immeubles de Puerto Madero, le quartier chic et moderne de Buenos Aires.

Trois mois après l'accession à la présidence de l'ultralibéral Javier Milei, l'institut de statistiques de la ville de Buenos Aires vient de révéler que, selon ses critères, l'indice d'extrême pauvreté a atteint un plus haut depuis 2015, année où il commencé à être étudié.

Basé sur le prix du panier alimentaire quotidien pour un adulte au mois de juin 2024, fixé à 3,2 dollars par jour, il a doublé par rapport au premier trimestre 2023 pour atteindre 16% des "porteños", les habitants de la capitale de 3,1 millions d'habitants.

Selon la Banque mondiale, 700 millions de personnes dans le monde vivent dans l'extrême pauvreté, c'est à dire avec des revenus inférieurs à 2,15 dollars par jour.

Pauvreté structurelle

Quatre sans-abri sont morts d'hypothermie ces dernières semaines à Buenos Aires, où une vague de froid inhabituelle, avec des températures négatives, a frappé le pays.

"La police vous dit d'aller dans un abri qui ressemble à une prison pour que les gens riches ne voient pas la crise économique et sociale", souffle Jonathan Gomez qui, comme de nombreux autres sans-abri ne veut pas s'y rendre par crainte d'insécurité.

À l'échelle nationale, la pauvreté touchait au second semestre 2023 quelque 41,7% de la population argentine, selon l'organisme public Indec qui situe la barre en dessous de 217 dollars de revenus mensuels.

Sa prochaine évaluation sera publiée en septembre, mais selon les projections de l'Université catholique argentine (UCA), ce taux devrait atteindre les 55%, un record de pauvreté que l'Argentine a déjà traversé lors la crise économique de 2002, la pire de son histoire récente.

La crise actuelle, dans une économie en récession, avec plus de 270% d'inflation en glissement annuel au mois de juin, a poussé les plus pauvres dans la misère et de vastes secteurs de la classe moyenne ont basculé dans la pauvreté, selon l'UCA.

"Il y a un déclassement des ménages, non seulement à cause du pouvoir d'achat des salariés, mais aussi à cause de la mise au chômage de chefs de famille", explique Eduardo Donza, chercheur à l'Observatoire de la dette sociale de l'UCA.

"Nous avons en Argentine une pauvreté structurelle", restée supérieure à 20% pendant plus de deux décennies, "avec une troisième génération d'enfants nés dans l'exclusion", précise-t-il.

Supersoupe solidaire

Dans un hangar de l'université nationale de Quilmes (UNQ), dans la banlieue sud de Buenos Aires, une file s'est formée pour recevoir une assiette de "Supersoupe" solidaire.

Alors que le gouvernement se refuse à une injonction judiciaire de distribuer des tonnes de nourriture à des centaines de soupes populaires placées sous audit, des étudiants ont relancé le mois dernier un mécanisme de distribution de nourriture solidaire développé par l'UNQ lors de la crise de 2002.

Il offre aux plus démunis une "supersoupe", plat consistant de protéines à bas prix dans un pays d'élevage où la viande devenue trop chère se fait rare dans les estomacs.

"On est dans une situation d'urgence alimentaire avec près de six Argentins sur dix qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, ce qui signifie que quelque 27 millions se couchent le ventre vide", explique à l'AFP la directrice de la structure associative, Anahi Cuellas.

La préparation de 75.000 portions à 680 pesos l'unité (environ 0,60 dollar) a été lancée mais Mme Cuellas prédit déjà que "le besoin va malheureusement s'accroître".

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